Bernard Dumerchez éditeur, une vie de livres et d’art (exposition)

Le tra­vail du songe au sein même de la matière

Il y a quelques années, et par l’entremise d’Annie Stern, Ber­nard Dumer­chez a fait béné­fi­cier les biblio­thèques de l’Oise de ses archives. Le dépar­te­ment lui rend hom­mage à tra­vers une grande expo­si­tion rétros­pec­tive au Mudo. Il y a là les “épi­dermes” de corps écrits, peints ou des­si­nés où se retrouve un aéro­page d’écrivains et d’artistes, de Rolan Topor à Mes­chon­nic. Et des artistes plus jeunes et tout autant pro­bants : Marie Bau­thias, Eli­za­beth Prou­vost.
De telles artistes pro­posent des fan­tas­ma­go­ries qui ren­voient à quelque chose d’archéologique. En de tels ensembles poé­tiques sur­gissent des espaces où l’œil est à l’écoute d’une lumière étrange. Elle consti­tue le reflet des ori­gines. Le monde est traité de manière sym­bo­lique et vériste afin que se détache de la masse des cou­leurs, plus que des formes, un bon­dis­se­ment car­na­va­lesque où errent divers types de présences.

L’édi­teur sait tou­jours lais­ser aux artistes toutes lati­tudes pour célé­brer leurs noces avec le texte poé­tique. Ce der­nier n’est plus le seul à fleu­rir dans l’espace du sup­port. Sans s’absenter, il est innervé d’un autre corps et se charge d’une autre émo­tion par­fois très pro­fonde. On se sou­vient par exemple de “Sem­per­Do­lens” de Titus-Carmel. Plus que tom­beau, le livre se sublime en cage tho­ra­cique où pousse une fleur étrange “comme celle qu’on jette dans le trou grand ouvert et que reçoit le cer­cueil que la terre salit”.
L’exposition laisse saillir bien des alchi­mies pour sus­ci­ter la radiance réci­proque d’un jeu de miroirs jusqu’à atteindre — par­fois par l’humour ou la cruauté sous-jacente — la beauté en des débor­de­ments conte­nus comme le cra­tère contient le feu. La fusion opère. Plus que miroirs en face à face, il faut donc par­ler de miroi­te­ments témoins d’une dou­leur pas­sée et d’une incan­des­cence à venir.

Chaque œuvre dans l’exposition est conçue comme une struc­ture de soli­di­fi­ca­tion d’une “com­mu­nauté inavouable” pour reprendre les termes de Blan­chot où errent des sortes d’anges, des chiens cépha­lo­morphes, des têtes sym­boles ou sim­ple­ment des pans (Joel Leick) ou des lignes (Michel Mous­seau) qui deviennent des traces d’autres traces.
Ren­dons une fois encore hom­mage à celle qui a com­pris l’enjeu d’un tel tra­vail d’édition et d’exposition. Sans elle rien n’aurait eu lieu : les œuvres expo­sées seraient res­tées l’affaire de “happy-fews” ou de thé­sau­ri­sa­teurs. Annie Stern (qui trans­mit ensuite le flam­beau à Josette Galiègue) a donc per­mis une réelle démo­cra­ti­sa­tion de l’art et de la poé­sie en une époque où l’on en a plus que jamais besoin. Elle a pré­sidé par son enga­ge­ment aux mou­ve­ments de dia­logues qui consti­tuent la base de ce que Dumer­chez pen­dant long­temps a ini­tié et qu’il pour­suit : le tra­vail du songe au sein même de la matière.

jean-paul gavard-perret

Ber­nard Dumer­chez édi­teur, une vie de livres et d’art, Mudo, Beau­vais du 23 mars au 21 octobre 2018.

Leave a Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>