Francis Tabouret est convoyeur d’animaux : veaux vaches, couvées, chevaux surtout : mais pas seulement. Tout est bon et pas seulement le cochon. Il s’assure de leur santé physique et « mentale » (si l’on peut dire). Plus particulièrement dans ce livre, lors d’un voyage dans le porte-conteneurs « Le Fort Saint-Pierre ».
L’auteur y raconte son quotidien et celui des animaux dont il est responsable. Il met aussi en exergue les rituels, les préséances qui ont lieu dans ce bateau. Mais, au-delà, l’auteur donne les raisons de son choix de métier. Convoyer des animaux, c’est aller dans les pays qui l’attirent, c’est découvrir des moyens de transports mais aussi prendre des routes qu’il n’a pas forcément choisies (un conteneur n’est pas forcément le moyen idéal pour traverser l’Atlantique).
A ces dérives géographiques se mêle celle de l’écriture. Les unes nourrissent l’autre. Et vice-versa. L’auteur fait passer du paroxysme de l’idéal à un abîme animalier. Et là encore vice-versa. Il ne cesse de nous aiguillonner de sa paisible germination. L’animal reste pour lui un repère figuratif et poétique majeur. Il fabrique une perspective que nous ignorons.
Il fabrique aussi une mémoire puisque partout où il “rampe”, il laisse, plus même que les animaux ; sa trace, sa hantise et presque son odeur. Preuve que la littérature non seulement peut mais se doit à l’animal. Pour cette extraction, refusant tout repli l’auteur fait des animaux des personnages au même titre que l’humain. Ils ne sont pas plus monstrueux que lui.
jean-paul gavard-perret
Francis Tabouret, Traversée, P.O.L éditeur, Paris, 2018.