Emmanuel Hocquard, Le cours de Pise

(Em)manuel pen­ché sur la fabrique de la poésie

De 1993 à 2005, Emma­nuel Hoc­quard a donné à l’école des Beaux-Arts de Bor­deaux des « leçons de gram­maire » dans le cadre d’un ate­lier de recherche et de créa­tion « Pro­cé­dure, Image, Son, Écri­ture (P.I.S.E) ». Ce livre est le condensé de tous les textes éla­bo­rés ou agen­cés en vue de ces cours. Ils sont de diverses natures et mêlent ques­tions théo­riques et approches prag­ma­tiques de l’écriture, cita­tions, anec­dotes, récits per­son­nels, poé­sie.
Cette réca­pi­tu­la­tion per­met de savoir sinon ce qu’est la poé­sie du moins de s’en appro­cher. Non de manière géné­rique mais par iden­ti­fi­ca­tion d’indices for­mels et pos­ture de radi­ca­li­sa­tion de ques­tions — incon­grues ou non — sur la spé­ci­fi­cité du médium et ses consé­quences sur les êtres et les choses.

Hocquard monte toute une fabrique de la poé­sie par les « annexes » qu’il verse en un tel « dos­sier ». Elles font ce qu’elle est et ce qu’elle pro­duit. Elles prouvent que ce qu’on prend pour une oisi­veté est tout le contraire. C’est un « beau » souci mais souci tout de même qui per­met au champ des appa­rences d’être ébranlé.
L’enjeu est de cer­ner quelque chose de juste au sujet de l’écriture comme expé­rience et rap­port au “je”, à l’autre, au réel par un en deçà de la langue et un au-delà de réseau du sym­bo­lique. Loin de régres­sion fusion­nelle ou des exal­ta­tions d’une « subli­ma­tion aphone » (Prigent), ce « manuel » d’enseignement devient tout autant celui d’une rude bataille pour se déga­ger du corps consti­tué de la langue de tous et de pro­po­ser une langue qui ne soit plus miroir mais écran où se pro­jettent des expé­riences ver­bales intimes qui exige un effort, une ascèse.

L’auteur y est passé maître. A la fois de la mesure et de la déme­sure pour trans­for­mer sans pré­tendre l’abolir l’écart entre les choses et les mots en créant un pont sur le fossé qui s’ouvre entre la réa­lité et la coa­gu­la­tion de ses repré­sen­ta­tions. Le tout selon des moda­li­tés qui ne relèvent plus guère de la simple dis­cur­si­vité paci­fiée.
Elles ne se résorbent ni dans des récits ordon­nés, ni dans des construc­tions ration­nelles, ni dans une ima­ge­rie ser­tie de figures repé­rées mais entre­tiennent une obs­cu­rité volon­taire, une confu­sion insen­sée et un flux d’affects plus ou moins gouvernables.

jean-paul gavard-perret

Emma­nuel Hoc­quard,  Le cours de Pise, P.O.L édi­teur, Paris, 2018.

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