André Pieyre de Mandiargues a entretenu d’étroites relations avec l’œuvre écrite et peinte d’Henri Michaux. Il fut aussi son ami. Et dans ces trois textes le poète apparaît tel qu’il fut : le voyant qui dans les ténèbres sait rechercher les contours pour transformer ce qui n’est qu’apparence. De Mandiargues illustre comment Michaux franchit la frontière du réel, modifie les manifestations visibles du monde, transforme la perception du monde. Parfois avec des caillots au milieu des lignes pour créer la dose nécessaire de grâce et de trouble. Il montre combien le Belge sut surveiller les « gestes » qui provoquent les éloignements afin d’ouvrir le chemin des intérieurs les plus obscurs.
Chez les deux créateurs, la connivence semble une évidence : ils apportent avec eux les images de la nuit pour illuminer le jour d’un feu nocturne et emporter vers la mer à marée haute un imaginaire surréaliste dégagé de l’influence étroite de Breton. Du texte de l’auteur de La Motocyclette aux œuvres de créateur de Plume existent bien des traversées de miroir et des murs. Le tout, écrit de Mandiargues, « Avec reconnaissance et respect, même si nous n’avons compris qu’une partie de son enseignement, inclinons-nous devant son créateur. Grâce lui soit rendue ». Car dans cette dérive à deux Mandiargues connut l’attrait de tels rochers insubmersibles. Ils fascinent le poète et romancier. Il quitte ici un certain nombre de ses fantasmes et une odeur prodigieusement sexuelle pour d’autres varechs et goémons : ceux des encres de Michaux créatrices d’une activité secrète.
De Mandiargues à su découvrir et comprendre le côté risqué d’une entreprise qui donne le prix à l’exploration. Les récits de Michaux restent des récifs particuliers qui gardent en leurs flancs la puissance des tempêtes. Et celui qui offre ici un exercice d’admiration y insérera, pour bâtir les ossements de ses mots, des « vertèbres de poissons » afin de « construire des pivoines fragiles remplies encore de bière sucrée pour tromper les grands sphinx crépusculaires ».
Bref, son œuvre s’est nourrie de l’oursin mais aussi du caviar de Michaux, afin que de L’âge de la craie il passe aux Mascarets.
Jean-paul gavard-perret
André-Pieyre de Mandiargues, Aimer Michaux, dessins d’Henri Michaux, Fata Morgana, 2018, 40 p. — 10,00 €.