Aviad Kleinberg, Le Dieu sensible

Instruc­tif ou superflu ?

L’auteur de ce livre, his­to­rien des reli­gions, nous pré­vient hon­nê­te­ment, dès l’Introduction, qu’il est à la fois athée et fas­ciné par la pen­sée reli­gieuse. Il se pro­pose d’étudier la dimen­sion sen­sible de Dieu, telle qu’elle appa­raît chez les théo­lo­giens chré­tiens et juifs, sans s’interdire pour autant le recours aux textes boud­dhistes. Ce qui l’intéresse par­ti­cu­liè­re­ment, ce sont “les moments où les pré­misses théo­riques se heurtent à des dif­fi­cul­tés pra­tiques“, heurts inévi­tables, étant donné que Dieu “devrait être au-dessus des don­nées sen­so­rielles. Mais à l’évidence, il ne l’est pas.“ (p. 34).
Ras­su­rons le lec­teur qui crain­drait d’avoir affaire à un ouvrage trop abs­trait, voire abs­cons : l’étude de Klein­berg est hau­te­ment lisible, et même diver­tis­sante (empreinte d’humour). Une grande par­tie des textes reli­gieux cités par l’auteur offrent en eux-mêmes un aspect cocasse, notam­ment l’extrait du Tal­mud baby­lo­nien selon lequel Dieu aurait per­son­nel­le­ment rasé le roi d’Assyrie (p. 74). A pro­pos de ce genre d’images et de situa­tions, Klein­berg nous apprend qu’à la dif­fé­rence des théo­lo­giens chré­tiens les experts reli­gieux juifs s’intéressent plus à l’action (à ce qu’un croyant doit faire) qu’aux idées abs­traites, ce qui fait qu’on “peut être un grand rab­bin sans déve­lop­per une théo­lo­gie sys­té­ma­tique“ (p. 84).
D’où la pré­di­lec­tion de l’auteur pour les pen­seurs chré­tiens, dont les écrits révèlent le mieux les pro­blèmes phi­lo­so­phiques que pose un Dieu à la fois asso­ciable à l’infini et per­cep­tible à tra­vers les cinq sens.

Klein­berg démontre de façon effi­cace que “dans le sys­tème théo­lo­gique, la rai­son est décon­nec­tée sur cer­tains points cri­tiques, alors qu’elle conti­nue à fonc­tion­ner (et même à pré­va­loir) sur tous les autres“ (p. 88). Nous sommes d’accord avec lui sur ce constat, mais faut-il pour autant par­ler de “schi­zo­phré­nie“ à pro­pos du chris­tia­nisme ? Existe-t-il un sys­tème de pen­sée, même pure­ment maté­ria­liste et se vou­lant à cent pour cent ration­nel, qui soit exempt de contra­dic­tions internes ?
Par ailleurs, il nous semble qu’une “théo­lo­gie“ où la logique pré­vau­drait com­plè­te­ment sur l’irrationnel ne serait rien d’autre qu’un sys­tème de pen­sée athéiste. A lire Klein­berg, on en vient à l’impression que la vaste somme de connais­sances employée pour écrire cet ouvrage ne lui a pra­ti­que­ment rien apporté, puisque la thèse qu’il sou­haite étayer peut se pas­ser de toute démons­tra­tion, rele­vant de l’évidence (la reli­gion n’est pas vrai­ment rationnelle).

De ce point de vue, on peut juger l’ouvrage super­flu. En revanche, sa lec­ture est à recom­man­der à toute per­sonne qui man­que­rait de culture reli­gieuse et qui s’intéresserait aux dif­fé­rences entre le judaïsme et le christianisme.

agathe de lastyns

Aviad Klein­berg, Le Dieu sen­sible, tra­duit de l’anglais par Jacques Dala­run, Gal­li­mard, février 2018, 250 p. – 28,00 €.

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