“…Personne d’autre n’a remarqué quoi que ce soit, personne n’est au courant. Je suis la seule à savoir. Moi, une femme bouffie par l’alcool séparée de sa famille (…). Un monstre de foire pour les voisins. Une cinglée pour les flics. Un cas à part pour son psychiatre. Une source de pitié pour sa kiné. Une recluse. Certainement pas une héroïne , ni un limier. Je suis autant enfermée dans mon univers intérieur qu’exclue par le monde extérieur…” Anna vit recluse dans sa maison new-yorkaise, séparée de sa famille. Depuis plusieurs mois, elle souffre d’agoraphobie, et ses seuls contacts avec le monde extérieur se font par le biais de son psychiatre, de sa kinésithérapeute et d’Internet.
Elle s’abreuve de Merlot et absorbe une grande dose de comprimés, tout en regardant en boucle ses films policiers en noir et blanc préférés. Elle passe aussi ses journées à pratiquer les échecs en ligne, et à jouer les psys sur un forum, pour renouer un peu avec son métier de pédopsychiatre qu’elle a laissé de côté. Elle passe aussi beaucoup de temps à espionner le quotidien de ses voisins. Quand une nouvelle famille emménage juste en face de chez elle, elle est ravie de pouvoir diversifier ses occupations, et de découvrir les Russels. Elle va pourtant vite déchanter, quand un soir, elle assiste à un meurtre depuis sa fenêtre. Mais sera-t-elle crédible face à la police ? Peut-on vraiment se fier à ses souvenirs ?
Agoraphobie : ‘“phobie correspondant à la peur des lieux publics, des espaces ouverts dans le sens commun. C’est plus précisément la peur de ne pas pouvoir fuir ou être secouru rapidement… “, telle est la définition donnée par Wikipedia. Une définition qui ne peut réellement donner toute la mesure et les répercussions de cette phobie. Une maladie terriblement bien exploitée dans le premier roman de cet auteur américain A. J. Finn, qui fait une entrée fracassante dans le monde du thriller ! Dès les premières pages, l’auteur réussit à captiver le lecteur et le faire entrer dans le quotidien, plutôt sombre et désespéré, d’Anna. Et l’on devient aussi accro à son écriture que son héroïne l’est aux médicaments et à l’alcool.
Finn déploie son histoire comme un de ces films noirs, dont Anna est si friande. Ses paroles font d’ailleurs écho à celles des personnages de Vertigo, Hantise, et d’autres à de nombreuses reprises. Le lecteur est toujours baladé entre la réalité, et la vie fantasmée d’Anna, et son esprit s’embrouille au rythme de chapitres courts, pour être parfois aussi déboussolé que celui d’Anna.
C’est sûrement ce qui fait la plus grande force du roman, cette capacité qu’a A. J. Finn à nous immerger dans l’esprit de cette femme au passé compliqué et plus trouble qu’il n’y paraît. Après quelques flashbacks, les retours au présent nous confrontent également à une galerie de personnages tout aussi intéressante : un beau locataire secret, une famille qui n’a rien de modèle, des flics et des psys peu efficaces, une kiné sympa et à l’écoute et quelques autres que je laisse au lecteur le soin de découvrir.
Il faut également souligner les connaissances cinématographiques impressionnantes que l’auteur possède, et qui raviront les fans de films noirs, tant les références sont nombreuses. Bien sûr, le grand maître Hitchcock est omniprésent (et pas seulement pour Fenêtre sur cour), mais l’atmosphère du livre peut également évoquer celle de Copycat qui fut un des premiers thrillers à présenter au grand public les troubles causés par l’agoraphobie et la solitude qu’elle engendre. D’ailleurs, la Fox a déjà acheté les droits d’adaptation cinématographique du roman de Finn.
La femme à la fenêtre ne peut que séduire un public pourtant déjà bien habitué au thriller, et saura sans doute conquérir les plus réticents à ce genre. C’est un coup de maître sur l’échiquier du polar, qui nous met échec et mat en nous livrant une fin haletante.
franck boussard
A. J. Finn, La Femme à la fenêtre, Presses de la Cité, février 2018, 521 p. — 21,90 €.