Tout dans l’ordre de l’aveu chez Laurence Skivée se fait sous le sceau de l’ellipse. L’auteur sait trouver les segments d’émotions sans rien laisser « couler ». La poétesse aime la retenue. Pour dire l’insouciance, l’espace premier avant que tout bascule. Avant que tout reprenne. Mais « l’air est différent ». Ce pas au-delà qui ne se choisit pas n’épuise pas pour autant ce qui a eu lieu.
Et le fragmentaire le dit mieux que le ferait un récit. Mais la poétesse ne tombe jamais dans l’aphorisme, la sentence, la maxime. Le discours « discontinu » permet de faire un retour d’un ton grave mais sans pathos sur ce qui est arrivé.
Se libérant de la trop longue parole qui est surcharge, Laurence Skivée par le fragment ne laisse pas arriver le désordre. Tout au contraire est bien rangé afin de laisser éclater vers la fin du livre un rideau de mots dont on ne dira rien mais où l’émotion trouve une force inédite.
Peu à peu, le livre prouve que le travail de deuil est l’envers du mourir. Mais l’auteur casse tout effet de résilience, cette plaisanterie de derrière les chrysanthèmes. La mort quoique prévisible reste toujours vécue comme imprévisible et il n’y a rien à en tirer. Sinon habiter ceux qui nous ont quittés (et pas besoin pour cela de cimetière).
Laurence Skivée le prouve là où la violence mesurée de l’écriture répond à celle de la mort en un retour vers celle qui reste la même : l’auteure. L’évocation de son revenir est une avancée. Elle permet un passage là où la lumière du passé n’est pas faux jour : cette lumière était presque trop visible, elle n’éclairait pas.
Désormais, elle n’éblouit plus et l’exigence du retour permet le temps futur.
jean-paul gavard-perret
Laurence Skivée, L’air est différent, La Lettre Volée, Bruxelles, 2018, 100 p. — 17,00 €. Parution en France le 18 mai 2018.