Un pape de transition ?
Connu pour sa remarquable biographie de Jean-Paul II, Bernard Lecomte s’est attelé à décrire la vie et à analyser l’œuvre du successeur du pape Wojtyla, le controversé Benoît XVI.
On retrouve dans ce livre les qualités de l’auteur : clarté du propos, fines connaissances de l’Église catholique et des arcanes du Vatican, rigueur de l’analyse. Cette biographie permet de bien cerner le pape Ratzinger, traîné dans la boue dès son élection sur le trône de Saint-Pierre, victime d’une implacable cabale médiatique qui, à travers sa personne, vise à déstabiliser en profondeur l’Eglise catholique.
Le récit de son enfance nous plonge dans cette Bavière catholique et traditionnelle qui a fortement marqué le futur Souverain pontife, nous entraîne au sein de sa famille très pieuse, marquée par la foi et la personnalité d’un père foncièrement antinazi, avant de nous éclairer sur les drames de sa jeunesse, marquée par l’horreur du nazisme, idéologique païenne et antichrétienne, qui lui fit revêtir l’uniforme de la Hitlerjugend.
Puis, on suit les étapes de son ascension, depuis son ordination jusqu’à l’archevêché de Munich, en passant bien sûr par les années essentielles de l’enseignement et de la recherche théologique, les deux grandes passions de Joseph Ratzinger. Les pages sur les années du Concile sont très instructives. On suit les pas de ce jeune et prometteur ecclésiastique qui, en tant qu’expert, promeut la réforme au sein de l’Église, avant que les tourments et les délires de 1968 ne lui fassent comprendre les dangers que le progressisme fait courir à l’institution mais aussi à la foi. Dès lors, Ratzinger ne cesse de défendre l’héritage de la Tradition sans lequel le catholicisme ne peut survivre, notamment dans le domaine de la liturgie.
Remarqué par Paul VI qui, dans le désordre des années 1970, recherche des prélats modérés et compétents, il est nommé par Jean-Paul II à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en 1981. Il y déploie toutes ses qualités de dialogue et de fermeté pour garder la pureté du dogme face à tous les errements. Il joue un rôle moteur dans la condamnation de la théologie de la libération et dans la crise avec les lefebvristes. Tout cela est fort bien décrit par Bernard Lecomte.
On comprend les enjeux de son élection de 2005 après le chapitre consacré à sa crainte de voir le christianisme disparaître en Europe, de voir ce continent renier définitivement sa foi et d’éradiquer toute trace du catholicisme. La pensée comme la personnalité de Benoît XVI sont bien retranscrites, sans aucune caricature et parti pris trop prononcé.
Nos critiques porteront davantage sur les pages consacrées au pontificat. Certes, le manque de recul pénalise l’analyse historique de l’auteur. Mais la retranscription des grandes décisions prises depuis 2005 comme le récit des polémiques laissent un goût d’inachevé. Non pas qu’ils soient faux, mais certaines questions auraient mérité des approfondissements. Bernard Lecomte explique l’importance que le pape accorde à la liturgie et à la crise profonde que celle-ci traverse. Son livre aurait pu être l’occasion de certains développements pour en expliquer les enjeux au vaste lectorat qui lira la biographie.
Ensuite, les attaques subies par Benoît XVI aurait nécessité d’avantages d’explications. Bernard Lecomte précise, avec raison, qu’elles sont le fait avant tout des médias occidentaux. C’est absolument essentiel de l’affirmer. Cela dit, quels sont leurs desseins ? Que révèlent ces offensives répétées ? N’est-ce pas une attaque contre l’Église et les valeurs mêmes du christianisme, la télévision remplaçant le Colisée ? De même, n’y-a-t-il pas eu de la part de Mgr Williamson une volonté délibérée et réfléchie de torpiller les discussions entre le Saint-Siège et la Fraternité Saint Pie X ? On peut, il est vrai, se reporter au livre du même Bernard Lecomte, Pourquoi le pape a mauvaise presse (Desclée de Brouwer, 2009) pour avoir plus de précisions.
Peut-on résumer son pontificat par un « On ne revient pas en arrière, mais on n’avance pas non plus » ? Plusieurs décisions, d’ailleurs évoquées par l’auteur, continueront de faire sentir leurs effets pendant longtemps, ne serait-ce que le motu proprio Summorum Pontificum de 2007 sur la liturgie.
La conclusion, elle aussi, laisse perplexe. Bernard Lecomte, mettant en avant le caractère très européen de la pensée et de l’action pontificales, semble reprocher à Benoît XVI une attitude trop européo-centrée. Sur le fond, c’est incontestable. Mais où est le problème ? L’Europe est à un tournant de son histoire. Les catholiques y sont devenus une minorité de moins en moins tolérée. Benoît XVI le sait, et son pessimisme se confond avec un implacable réalisme. C’est tout à son honneur de se préoccuper de l’Europe, terre de mission.
Une fois ces quelques réserves émises, on ne peut que louer la grande qualité de cette biographie bien documentée et surtout sa grande honnêteté. C’est rare dans tout ce qui touche à Benoît XVI, ce pape dit de transition mais dont le pontificat, on ne peut en douter, impulse à l’Église catholique un renouveau qui n’a pas fini de nous surprendre.
f. le moal
Bernard Lecomte, Benoît XVI, Perrin, avril 2011, 183 p.- 13,00 € |
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