La Révolution française, mère du nazisme
Le livre de Fabrice Bouthillon, professeur d’histoire à l’université de Brest — fonction d’où il contemple le naufrage de l’enseignement supérieur français — ne manque pas de qualités. Ecrit dans une très belle langue, il est nourri d’une très vaste et très solide érudition, dans le domaine historique, philosophique et religieux. L’auteur sait en outre faire preuve d’une rare indépendance d’esprit, nourri par une ironie délicieuse.
Son sujet traite d’un thème novateur : les liens entre la Révolution française et le nazisme. Selon l’auteur, la Révolution a fracturé les sociétés européennes en deux camps irrémédiablement opposés, la Gauche et la Droite. Il considère d’ailleurs le mouvement révolutionnaire comme voué à l’échec dans son projet de rassembler ceux qu’il a séparés, d’unifier dans un nouveau contrat social tous les individus, y compris ceux qui ne veulent pas le changement. Tout le XIX° siècle se résume à la recherche de l’unité perdue.
Cette quête s’incarne dans le centrisme, lui-même partagé entre un centrisme par exclusion des extrêmes (l’orléanisme) et un centrisme par addition des extrêmes (le bonapartisme et le nazisme). C’est à travers cette grille de lecture originale que Fabrice Bouthillon peint les évolutions politiques de l’Allemagne aux XIX° et XX° siècles.
Loin d’être un pays extra-européen — dans le sens où il se différencierait des pays occidentaux et libéraux — l’Allemagne en possède au contraire toutes les caractéristiques. La Révolution et l’invasion françaises la bouleversent et forgent le sentiment national.
Toutefois, l’Allemagne reste divisée politiquement. Le rêve de l’unité s’empare alors de ses élites. Il est réalisé en 1871 par Bismarck. Or, Fabrice Bouthillon ne peut que remarquer que le Chancelier de fer brise l’unité allemande en la réalisant autour de la Prusse et en excluant l’Autriche. De là découle la Triplice mais surtout l’Anschluss de 1938. Quant à sa politique intérieure, force est de constater qu’elle relève du centrisme par exclusion des extrêmes.
Après un chapitre sur la république de Weimar et sur le chancelier Brüning, qui nécessite de solides connaissances sur cette période, Fabrice Bouthillon en vient au cœur de sa démonstration. A ses yeux, le nazisme est un centrisme par addition des extrêmes, né d’un écroulement politique, comme le bonapartisme. En effet, la défaite de 1918 brise le consensus de 1914 et de l’Union sacrée, présentée comme « la résultante d’un sublime de l’identité », et rallume la fracture ouverte par 1789. Hitler cherche à la refermer, à unir tous les Allemands. Fabrice Bouthillon prouve indubitablement que l’association des termes national et socialisme ne relève pas d’une pure rhétorique. Il décrit, à travers l’analyse du programme hitlérien, de Mein Kampf et du meeting du 24 février 1920, la composante de gauche d’Hitler. Même son antisémitisme y trouverait des racines, entre haine du bourgeois usurier et recherche d’un bouc-émissaire pour refonder l’unité. La Révolution toujours…
Pour résumer, le national-socialisme serait aussi bien « apogée de la haine Droite-Gauche » qu’« ébauche de leur réconciliation ».
Le dernier chapitre est incontestablement le plus passionnant. Partant de l’analyse du testament politique d’Hitler, rédigé dans le bunker, Fabrice Bouthillon nous entraîne dans un tourbillon d’analyses. Certes, certaines n’emportent pas la conviction, (Hitler aimerait Eva Braun à cause de son nom qui signifie brun !). D’autres par contre suscitent un réel intérêt.
Fabrice Bouthillon saisit très bien les enjeux et la nature des négociations secrètes entamées par les hiérarques nazis avec les Anglo-Saxons comme avec les Soviétiques, depuis 1939 jusqu’aux ultimes heures du conflit. Ce jeu révèle la nature « centriste » du régime qui le rend incapable de vraiment choisir un interlocuteur. Pour ce qui est des manœuvres d’Himmler, l’auteur est sans aucun doute dans le vrai. Il agit avec l’aval du Führer, c’est indubitable en tout cas pour les discussions à propos du front italien.
Enfin, le livre relève avec pertinence une des caractéristiques majeures du nazisme qui se rattache au concept de religion politique. C’est la raison pour laquelle la lecture christique que l’auteur fait du testament et de la posture ultime d’Hitler se révèle stimulante. Car le Führer indique bien que sa mort ne met pas fin au combat, lequel doit se poursuivre jusqu’à la victoire. Quant à sa crémation, elle rend le bunker vide à l’arrivée des Soviétiques, comme le Tombeau l’était devant les femmes… Un suicide maquillé en sacrifice.
Hitler se considéra-t-il comme l’Antéchrist, comme l’affirme Fabrice Bouthillon ? C’est possible. Et c’est d’ailleurs ce que pensaient le Vatican et Pie XII, lequel tenta de l’exorciser.
Cet ouvrage rassure. Il prouve que la pensée historique sur cette période n’est pas complètement sclérosée. Il saisit avec justesse la véritable nature du national-socialisme, qui ne peut en rien être réduite à l’extrême-droite telle qu’on l’entend communément. On pourrait en dire tout autant de Mussolini et du fascisme qui, après une parenthèse de vingt ans, retrouvent leurs origines républicaines, nationalistes et socialistes.
Peu importe que l’on soit d’accord ou pas avec les thèses de Fabrice Bouthillon ; elles ont le mérite d’exister. Elles ne plairont ni à l’historiquement correct, ni aux bien-pensants. Et c’est déjà une immense qualité.
f. le moal
Fabrice Bouthillon, Nazisme et révolution. Histoire théologique du national-socialisme, 1789–1989, Fayard, 2011, 329 p.- 19,90 € |
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