Fabrice Bouthillon, Nazisme et révolution. Histoire théologique du national-socialisme, 1789–1989

La Révo­lu­tion fran­çaise, mère du nazisme

Le livre de Fabrice Bou­thil­lon, pro­fes­seur d’histoire à l’université de Brest — fonc­tion d’où il contemple le nau­frage de l’enseignement supé­rieur fran­çais — ne manque pas de qua­li­tés. Ecrit dans une très belle langue, il est nourri d’une très vaste et très solide éru­di­tion, dans le domaine his­to­rique, phi­lo­so­phique et reli­gieux. L’auteur sait en outre faire preuve d’une rare indé­pen­dance d’esprit, nourri par une iro­nie délicieuse.

Son sujet traite d’un thème nova­teur : les liens entre la Révo­lu­tion fran­çaise et le nazisme. Selon l’auteur, la Révo­lu­tion a frac­turé les socié­tés euro­péennes en deux camps irré­mé­dia­ble­ment oppo­sés, la Gauche et la Droite. Il consi­dère d’ailleurs le mou­ve­ment révo­lu­tion­naire comme voué à l’échec dans son pro­jet de ras­sem­bler ceux qu’il a sépa­rés, d’unifier dans un nou­veau contrat social tous les indi­vi­dus, y com­pris ceux qui ne veulent pas le chan­ge­ment. Tout le XIX° siècle se résume à la recherche de l’unité perdue.

 

Cette quête s’incarne dans le cen­trisme, lui-même par­tagé entre un cen­trisme par exclu­sion des extrêmes (l’orléanisme) et un cen­trisme par addi­tion des extrêmes (le bona­par­tisme et le nazisme). C’est à tra­vers cette grille de lec­ture ori­gi­nale que Fabrice Bou­thil­lon peint les évo­lu­tions poli­tiques de l’Allemagne aux XIX° et XX° siècles.

 

Loin d’être un pays extra-européen — dans le sens où il se dif­fé­ren­cie­rait des pays occi­den­taux et libé­raux — l’Allemagne en pos­sède au contraire toutes les carac­té­ris­tiques. La Révo­lu­tion et l’invasion fran­çaises la bou­le­versent et forgent le sen­ti­ment national.

 

Toute­fois, l’Allemagne reste divi­sée poli­ti­que­ment. Le rêve de l’unité s’empare alors de ses élites. Il est réa­lisé en 1871 par Bis­marck. Or, Fabrice Bou­thil­lon ne peut que remar­quer que le Chan­ce­lier de fer brise l’unité alle­mande en la réa­li­sant autour de la Prusse et en excluant l’Autriche. De là découle la Tri­plice mais sur­tout l’Anschluss de 1938. Quant à sa poli­tique inté­rieure, force est de consta­ter qu’elle relève du cen­trisme par exclu­sion des extrêmes.

 

Après un cha­pitre sur la répu­blique de Wei­mar et sur le chan­ce­lier Brü­ning, qui néces­site de solides connais­sances sur cette période, Fabrice Bou­thil­lon en vient au cœur de sa démons­tra­tion. A ses yeux, le nazisme est un cen­trisme par addi­tion des extrêmes, né d’un écrou­le­ment poli­tique, comme le bona­par­tisme. En effet, la défaite de 1918 brise le consen­sus de 1914 et de l’Union sacrée, pré­sen­tée comme « la résul­tante d’un sublime de l’identité », et ral­lume la frac­ture ouverte par 1789. Hit­ler cherche à la refer­mer, à unir tous les Alle­mands. Fabrice Bou­thil­lon prouve indu­bi­ta­ble­ment que l’association des termes natio­nal et socia­lisme ne relève pas d’une pure rhé­to­rique. Il décrit, à tra­vers l’analyse du pro­gramme hit­lé­rien, de Mein Kampf et du mee­ting du 24 février 1920, la com­po­sante de gauche d’Hitler. Même son anti­sé­mi­tisme y trou­ve­rait des racines, entre haine du bour­geois usu­rier et recherche d’un bouc-émissaire pour refon­der l’unité. La Révo­lu­tion toujours…

Pour résu­mer, le national-socialisme serait aussi bien « apo­gée de la haine Droite-Gauche » qu’« ébauche de leur récon­ci­lia­tion ».

Le der­nier cha­pitre est incon­tes­ta­ble­ment le plus pas­sion­nant. Par­tant de l’analyse du tes­ta­ment poli­tique d’Hitler, rédigé dans le bun­ker, Fabrice Bou­thil­lon nous entraîne dans un tour­billon d’analyses. Certes, cer­taines n’emportent pas la convic­tion, (Hit­ler aime­rait Eva Braun à cause de son nom qui signi­fie brun !). D’autres par contre sus­citent un réel intérêt.

Fabrice Bou­thil­lon sai­sit très bien les enjeux et la nature des négo­cia­tions secrètes enta­mées par les hié­rarques nazis avec les Anglo-Saxons comme avec les Sovié­tiques, depuis 1939 jusqu’aux ultimes heures du conflit. Ce jeu révèle la nature « cen­triste » du régime qui le rend inca­pable de vrai­ment choi­sir un inter­lo­cu­teur. Pour ce qui est des manœuvres d’Himmler, l’auteur est sans aucun doute dans le vrai. Il agit avec l’aval du Füh­rer, c’est indu­bi­table en tout cas pour les dis­cus­sions à pro­pos du front italien.

Enfin, le livre relève avec per­ti­nence une des carac­té­ris­tiques majeures du nazisme qui se rat­tache au concept de reli­gion poli­tique. C’est la rai­son pour laquelle la lec­ture chris­tique que l’auteur fait du tes­ta­ment et de la pos­ture ultime d’Hitler se révèle sti­mu­lante. Car le Füh­rer indique bien que sa mort ne met pas fin au com­bat, lequel doit se pour­suivre jusqu’à la vic­toire. Quant à sa cré­ma­tion, elle rend le bun­ker vide à l’arrivée des Sovié­tiques, comme le Tom­beau l’était devant les femmes… Un sui­cide maquillé en sacrifice.

Hitler se considéra-t-il comme l’Antéchrist, comme l’affirme Fabrice Bou­thil­lon ? C’est pos­sible. Et c’est d’ailleurs ce que pen­saient le Vati­can et Pie XII, lequel tenta de l’exorciser.

Cet ouvrage ras­sure. Il prouve que la pen­sée his­to­rique sur cette période n’est pas com­plè­te­ment sclé­ro­sée. Il sai­sit avec jus­tesse la véri­table nature du national-socialisme, qui ne peut en rien être réduite à l’extrême-droite telle qu’on l’entend com­mu­né­ment. On pour­rait en dire tout autant de Mus­so­lini et du fas­cisme qui, après une paren­thèse de vingt ans, retrouvent leurs ori­gines répu­bli­caines, natio­na­listes et socialistes.

Peu importe que l’on soit d’accord ou pas avec les thèses de Fabrice Bou­thil­lon ; elles ont le mérite d’exister. Elles ne plai­ront ni à l’historiquement cor­rect, ni aux bien-pensants. Et c’est déjà une immense qualité.

f. le moal

   
 

Fabrice Bou­thil­lon, Nazisme et révo­lu­tion. His­toire théo­lo­gique du national-socialisme, 1789–1989, Fayard, 2011, 329 p.- 19,90 €

 
     

 

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