Les Soldats / Lenz (Jakob Lenz / Georg Büchner/ Anne-Laure Liégeois)

Quand le délire ne se par­tage pas

Les comé­diens sont tous pré­sents autour du pla­teau éclairé ; ils dis­cutent comme en cou­lisses pen­dant que le public s’installe. Quelques-uns s’emparent d’un ins­tru­ment, entonnent un rythme élé­men­taire, bien­tôt rejoints par tous les autres, pour consti­tuer une fan­fare de for­tune. Vient ensuite un dis­cours théo­rique de Lenz sur le rôle de la lit­té­ra­ture, sur la fonc­tion du théâtre. De longues scènes d’exposition nous font péné­trer suc­ces­si­ve­ment dans une famille bour­geoise dont les codes bien éta­blis sont des­ti­nés à impo­ser sans déli­bé­ra­tion un ordre de façon expli­cite ou insi­dieuse, et dans le monde des sol­dats, ces offi­ciers qui ne cessent de par­ler, de valo­ri­ser leurs dis­cours et fina­le­ment d’inventer leurs propres lois.
Le décor est consti­tué d’un bal­con, avec une gale­rie de sièges comme au théâtre, entouré de deux esca­liers en coli­ma­çon, sur­mon­tant des loges ; de chaque côté, les acces­soires que les comé­diens ins­tallent eux-mêmes durant la repré­sen­ta­tion. Les acteurs qui ne sont pas dans la scène regardent les autres jouer, dans une pos­ture qui sym­bo­lise autant le poids des conven­tions sociales qu’elle met en miroir le regard des spectateurs.

Nous sommes dans une société figée, qui rigi­di­fie les rap­ports sociaux ; la pièce dénonce les indi­vi­dus broyés par un sys­tème qui condi­tionne leur rôle et leur ave­nir. On assiste à une pièce qui pré­sente des inter­mèdes musi­caux, à la manière de L’Opéra d’Quat’sous. Le jeu de scène est nourri, actif, bien senti : il semble qu’Anne-Laure Lié­geois ait choisi de dou­bler le pro­pos d’incarnations qui l’expriment en le cari­ca­tu­rant, sou­li­gnant la bana­lité, si ce n’est la pau­vreté du drame qui se joue. L’acte sexuel est réduit à un mou­ve­ment de bas­sin qui sépare les deux par­ties, supé­rieures et infé­rieures, du corps.
La met­teure en scène met l’accent sur la domi­na­tion mas­cu­line, qui voue les femmes à un des­tin de sou­mis­sion ou de per­di­tion. Au cours de la repré­sen­ta­tion, le sol se jonche de lettres, autant de rési­dus de rap­ports humains déchus. À terme, le drame se dénoue de façon sor­dide, par l’incompréhension radi­cale des dif­fé­rents per­son­nages lais­sés cha­cun à leur propre perte.

La seconde par­tie du spec­tacle est consti­tuée par le Lenz, de Büch­ner. Les acteurs immo­biles en fond de scène, habillés de noir, regardent au loin pen­dant que défile devant eux la lente pro­gres­sion du mar­cheur, qui mime ce qu’il raconte : le périple de Lenz dans la mon­tagne, ses ins­pi­ra­tions, ses ful­gu­ra­tions, ses intui­tions roman­tiques, ini­tia­tiques, théo­lo­giques. Son délire. Les évé­ne­ments qui sont rela­tés n’ont pas d’autre sens que celui de s’enchaîner les uns aux autres. Dif­fi­cile de relier le Lenz qui se donne à voir ici à l’auteur dont nous venons d’apprécier l’impitoyable cri­tique sociale.
Peut-être aurait-on pu, par des jeux de mise en scène, faire davan­tage dia­lo­guer les deux textes afin de voir, dans leur asso­cia­tion, en quoi la démence de Lenz irrigue son théâtre. On ima­gi­ne­rait par exemple volon­tiers que les acteurs reprennent quelque trait de leur per­son­nage dans Les sol­dats, mais eux-mêmes res­tent déses­pé­ré­ment sta­tiques devant ce mono­lithe impé­né­trable que consti­tue la pièce de Büch­ner. Fina­le­ment, Anne-Laure Lié­geois tient un dif­fi­cile équi­libre dans la pro­duc­tion du délire, lequel ne se par­tage pas, et ne peut que nous lais­ser interdits.

chris­tophe gio­lito & manon pouliot

Les Sol­dats / Lenz

d’après Die Sol­da­ten de Jakob Lenz , Lenz de Georg Büchner

mise en scène Anne-Laure Liégeois

Les sol­dats avec Luca Besse, James Bor­niche, Elsa Cano­vas, Laure Cathe­rin, Camille De Leu, Simon Del­grange, Anthony Devaux, Oli­vier Dutilloy, Vic­tor Fra­det, Isa­belle Gar­dien, Paul Pas­cot, Alexandre Prusse, Achille Sau­loup, Didier Sau­ve­grain, Agnès Sour­dillon, Véro­nika Varga.

Lenz avec Oli­vier Dutilloy, Agnès Sourdillon

 

Scé­no­gra­phie Anne-Laure Lié­geois ; assistant(e) à la mise en scène Camille Kolski ; créa­tion lumières Domi­nique Bor­rini ; musique Ber­nard Cavanna ; assis­tant à la scé­no­gra­phie Fran­çois Cor­bal ; cho­ré­gra­phie­Syl­vain Groud ;  créa­tion son Fran­çois Ley­ma­rie ; créa­tion cos­tumes Séve­rine Thiébault .

Anne-Laure Lié­geois (Tra­duc­tion et adap­ta­tion Les Sol­dats), Jean Lacoste (Col­la­bo­ra­tion à la tra­duc­tion des Sol­dats), Henri-Alexis Baatsch (Tra­duc­tion Lenz)

Au Théâtre 71 3 Place du 11 Novembre, 92240 Malakoff

Télé­phone 01 55 48 91 00 billetterie@theatre71.com

Du 23 jan­vier au 2 février 2018 Durée : Les Sol­dats 2h et Lenz 50mn


Les mar­dis et ven­dre­dis à 20h, les mer­cre­dis, jeu­dis et same­dis à 19h30, le dimanche à 16h.

Tour­née

Du 09 janv. 2018 au 12 janv. 2018 — Mai­son de la Culture d’Amiens — Amiens
Du 06 févr. 2018 au 09 févr. 2018 — Le Grand T — Nantes
Le 13 févr. 2018 et 14 févr. 2018 — Le Vol­can — Le Havre

Le 20 févr. 2018 - Mons Arts de la Scène — Mons (Bel­gique)
Le 03 mars 2018 - Les Trois T — Scène conven­tion­née de Châ­tel­le­rault
Le 07 mars 2018 et 08 mars 2018 - Le Cra­tère — Alès
Du 20 mars 2018 au 22 mars 2018 - Théâtre de l’Union — Limoges
Du 27 mars 2018 au 29 mars 2018 - TDB — Théâtre Dijon Bour­gogne — Dijon

Créa­tion le 9 jan­vier 2018 à la Mai­son de la Culture d’Amiens

Pro­duc­tion : Le Fes­tin – Cie Anne-Laure Liégeois

Pro­duc­tion délé­guée : Mai­son de la Culture d’Amiens – Pôle euro­péen de créa­tion et de production

Copro­duc­tions : Le Vol­can – Scène natio­nale du Havre, Le Grand T – Théâtre de Loire-Atlantique, Le Cra­tère – Scène natio­nale d’Alès, Mars – Mons Arts de la Scène, Théâtre 71 – Scène natio­nale Mala­koff, Les Trois T — Scène conven­tion­née de Châtellerault

Avec l’aide de la SPEDIDAM pour les spec­tacles dramatiques

Avec la par­ti­ci­pa­tion du Conser­va­toire de Gennevilliers

Avec le sou­tien des fonds d’insertion pour jeunes artistes dra­ma­tiques de la DRAC et la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, de l’Estba financé par la région Nouvelle-Aquitaine et de l’Ecole supé­rieure d’art dra­ma­tique de Paris.

Avec la par­ti­ci­pa­tion artis­tique du Jeune Théâtre Natio­nal et les dis­po­si­tifs d’insertion pro­fes­sion­nelle de l’ESAD du Théâtre natio­nal de Bre­tagne et de l’Ecole Supé­rieure Musique et Danse Hauts-de-France — Lille, sou­te­nue par la DRAC Hauts-de-France.

Remer­cie­ments au Conser­va­toire à rayon­ne­ment régio­nal d’Amiens Métropole.

Le texte est dis­po­nible aux édi­tions esse que

 

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