Quand les hommes étaient élémentaires et grossiers…
Patrick Rambaud excelle à analyser les événements de notre époque et à décrire les hommes qui en sont les acteurs. Il suffit, pour s’en persuader, de suivre les chroniques si humoristiques et si réalistes sur les quinquennats de Sarkozy et de Hollande.
Mais il brille également à fouiller dans la petite histoire pour en exhumer des pépites injustement oubliées. Dans le présent roman, il emmène ses lecteurs dans la Venise des origines, quand un peuple de marchands était réfugié dans les lagunes.
C’est en janvier 828 que le doge Justinien, depuis sa lourde forteresse, convoque les tribuns des différentes îles. Il a succédé à son père, Agnello, et veut continuer sa politique pour assurer l’indépendance de son duché, jusqu’alors protégé par Byzance. La papauté est son principal ennemi. L’Église, grâce à ce bigot de Louis, qui a succédé à Charlemagne, règne sur l’Europe. Venise et sa flotte, Venise et ses richesses excite les convoitises. La Rome des papes appuie son pouvoir sur les reliques de Saint-Pierre. Justinien veut opposer une relique plus glorieuse que celle de saint Théodore. Il pense à Marc l’évangéliste.
Mais, si Venise peut se prévaloir du saint, celui-ci ayant séjourné dans les lagunes, ses ossements sont à Alexandrie, aux mains des musulmans ! Il charge Rustico, tribun de Torcello, qui revient de Mayence où il a commercé avec les Francs, et Marino Bon, tribun de Malamocco, qui rentre d‘‘Alexandrie, de s’emparer coûte que coûte des ossements de l’Évangéliste pour les ramener à Rialto.
Patrick Rambaud retient ce moment pour illustrer la création brouillonne de Dieu qui : “…barbouillait des personnages élémentaires et grossiers.” Il emprunte ce titre, pour son récit historico-religieux, à Boccace qui, dans le Décaméron, nommait ainsi la sixième nouvelle de la sixième journée. Le pont est jeté entre deux livres aussi impertinents et truculents l’un que l’autre, le lien établi entre deux auteurs à l’esprit critique aussi affûté.
Le romancier offre une description passionnante de la vie de cette époque, principalement dans les monastères et abbayes, les palais où se pressent les classes aisées, la monarchie civile et religieuse. Il expose les pratiques commerciales, les aventures à vivre et les dangers à vaincre pour faire du négoce. Il se livre à une analyse géopolitique d’une grande finesse avec des termes picaresques, des vocables délicieusement facétieux et un don pour appuyer sur l’aspect cocasse des situations.
Rambaud raconte la course aux reliques à laquelle se livre tous les établissements religieux de quelque importance et les excès qu’elle entraîne. Il signe, sur ce sujet, des pages hilarantes. Les scènes dans l’abbaye de Saint-Gandulf avec les ossements de Sainte-Werentrude enchantent par leur cocasserie. Il brosse des portraits qui valent leur pesant de rire tant ils sont décrits avec verve et envolées comiques, décrivant des copistes illettrés qui retranscrivent les annotations de leurs prédécesseurs, faisant dire à un abbé que : “Les lois divines ne sont pas toujours bien adaptées à nos vies terrestres.”
Une fois encore Patrick Rambaud offre un roman palpitant, passionnant, drôle, riche en connaissances historiques autour d’un James Bond du IXe siècle, un récit servi par le talent d’un romancier hors-pair.
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serge perraud
Patrick Rambaud, Quand Dieu apprenait le dessin, Grasset, janvier 2018, 288 p. – 19,00 €.
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