Depuis la fin de la Première Guerre Mondiale, la violence est omniprésente dans l’art, quelle qu’en soit la nature ou la forme : sexe et nudité, guerres, émeutes, crash, déchets, ruines, etc. Des artistes comme Picasso avec Guernica ou César et ses carcasses appartiennent à l’esthétique de la « catastrophe » théorisée plus tard par Paul Virilio. Adel Abdessemed se situe dans cette mouvance et esthétique de la provocation. Hélène Cixous en précise les enjeux en insistant sur le fait que ses productions — quoique non « critiques » — mettent en exergue ceux et celles qui subissent la violence.
L’artiste la présente par de multiples références autant, voire plus, à l’histoire de l’art qu’à l’Histoire elle-même. Mais cette dérive permet de redonner une signification subversive aux images elles-mêmes. « Hope » par exemple et son immense esquif de fortune suspendu au plafond et rempli de sacs poubelles moulés en résine fait forcément penser aux images de migrants qui traversent la Méditerranée dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais les sacs poubelles font immanquablement penser aux sacs mortuaires où se retrouvent ceux qui se sont noyés dans cette traversée.
Dans l’œuvre, la représentation de l’étranger, des perdants jouxte celle de Dieu. Mais l’ensemble est traité de manière aussi allusive et indirecte que violente par les mises en scènes et choix des matières. Pour visualiser des images historiquement connotées, l’artiste sait trouver des angles d’attaque faits pour choquer. Nous pensons bien sûr aux quatre Christs en fil barbelé de l’artiste. Il affirme qu’il s’agit d’un hommage au retable de Grünewald. Mais le titre même (« Décor ») pousse forcément à une vision proche de l’humour, du grotesque et du blasphème. Et Dada n’est pas loin.
Néanmoins, Hélène Cixous est moins sensible à de telles approches qu’aux œuvres plus proches du réel que du symbole. Les exclus à l’œuvre dans l’œuvre sont ce qui retient l’écrivaine. Elle a raison en prouvant combien ce qui est pris parfois comme kitsch devient une théâtralité qui s’extrait de l’académisme consumériste d’œuvres plus choquantes mais parfaitement compréhensibles et commercialisables.
jean-paul gavard-perret
Hélène Cixous, Les Sans Arche d’Adel Abdessemed, Gallimard, coll. Art et Artistes, Paris, 2018, 128 p.