Annette Becker, Les cicatrices rouges, 14–18 — France et Belgique occupées

L’occu­pa­tion pen­dant la Grande Guerre

Annette Becker est une his­to­rienne recon­nue de la Pre­mière Guerre mon­diale. Son champ d’étude concerne avant tout l’histoire des men­ta­li­tés. Elle est connue pour ses tra­vaux sur la vio­lence de guerre, la fameuse et contro­ver­sée « bru­ta­li­sa­tion » que la Grande Guerre aurait engen­drée chez les Euro­péens, et aussi pour la part active qu’elle prend au sein de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne.

Son nou­veau livre, Les cica­trices rouges, 14–18. France et Bel­gique occu­pées, publié chez Fayard, porte sur un aspect très peu connu de la Pre­mière Guerre mon­diale : la vie des Fran­çais et des belges en ter­ri­toires occu­pés par les Alle­mands. En effet, on ne retient de cette période que les évè­ne­ments mili­taires et la vie des civils à l’arrière du front, en zone libre. Annette Becker uti­lise abon­dam­ment les archives pri­vées, lettres et jour­naux intimes qui nous per­mettent d’une part d’entrer dans le quo­ti­dien des occu­pés mais aussi de connaître leurs sen­ti­ments, sans les éven­tuels chan­ge­ments qu’une écri­ture a pos­te­riori pour­rait y appor­ter. L’auteur sait très bien en extraire la sub­stance pour mieux nous faire com­prendre cette époque dramatique.

Car, ce qui res­sort du livre, c’est l’intensité des drames qu’ont connus les Fran­çais et les Belges occu­pés, et qui ont été occul­tés par la suite jusqu’à une époque récente. Page après page, on suit la vie quo­ti­dienne de ces hommes et sur­tout de ces femmes et de ces enfants qui luttent pour man­ger, qui sont vic­times des réqui­si­tions, des rafles et même de dépor­ta­tions, sans par­ler des viols. De nom­breux lec­teurs décou­vri­ront l’existence de camps de concen­tra­tion, d’exécutions d’otages, de tra­vaux forcés.

Deux sen­ti­ments émergent à cette époque, et s’entrechoquent : la haine pour l’occupant — même si les sen­ti­ments peuvent être plus nuan­cés au contact quo­ti­dien de tel ou tel sol­dat alle­mand — et la peur qu’inspire le civil aux occu­pants. C’est là qu’Annette Becker situe les rai­sons aussi bien des exac­tions de l’été 1914 que des dure­tés de l’occupation.

Sans jamais tom­ber dans le sen­ti­men­ta­lisme, elle par­vient à nous faire sai­sir l’intensité des souf­frances vécues, qui en annoncent bien d’autres, pires encore. La tota­li­sa­tion, plu­tôt que la bru­ta­li­sa­tion, de la guerre pour­suit sa marche iné­luc­table. Les civils fran­çais et belges en sont eux aussi des vic­times de pre­mier plan. Ils appa­raissent comme des vic­times véri­ta­ble­ment désar­més, sans défense face aux rigueurs de l’occupation. L’étude montre bien les dif­fi­cul­tés des orga­ni­sa­tions huma­ni­taires anglo-saxonnes (comme celle du futur pré­sident des Etats-Unis Hoo­ver) ou du Vati­can, le contour­ne­ment des conven­tions de La Haye par les Alle­mands, le refus des Fran­çais de ravi­tailler leurs conci­toyens de peur des détour­ne­ments par l’occupant.

Finale­ment pour­quoi un tel oubli ? Annette Becker rap­pelle que la figure du sol­dat, vic­time pre­mière et consen­tante — on ne sau­rait trop insis­ter sur cette ques­tion du consen­te­ment patrio­tique qui anime les contem­po­rains — de la guerre, écrase toutes les autres. Le civil n’a pas trouvé sa place dans la mémoire de la Grande Guerre, et encore moins ceux occu­pés par l’ennemi. Ne furent-ils pas aussi ces « boches du nord » vili­pen­dés par les autres Français ?

Il est heu­reux que ce livre nous aide à mieux les connaître.

f. le moal

   
 

Annette Becker, Les cica­trices rouges, 14–18 — France et Bel­gique occu­pées, Coll. “His­toire”, Fayard, octobre 2010, 300 p.- 24,50 €

 
   

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