Lorsque Klester Cavalcanti est correspondant du magazine Veja, en Amazonie, il réalise un reportage sur le travail esclave, sur ces ouvriers asservis par les propriétaires terriens, les facendeiros. Ces derniers n’hésitent pas à user de la force la plus brutale, allant jusqu’à payer des tueurs à gages pour forcer les esclaves à rester en faisant assassiner des proches. Voulant rencontrer l’un de ces tueurs, un policier le met en contact avec Júlio Santana. Entre mars 1999 et janvier 2006, il entretient avec cet homme des relations téléphoniques régulières. Celui-ci, peu à peu, raconte sa vie depuis ce 7 août 1971 où, à dix-sept ans, il accomplit son premier contrat, son premier meurtre commandité.
Júlio vit avec sa famille dans une baraque en bois, dans une région totalement isolée au cœur de la jungle amazonienne du Brésil. Il cultive, dès l’enfance, une amitié avec son oncle Cícero, le jeune frère de son père. Celui-ci, est parti pour la capitale de l’Etat. Il est revenu vêtu d’un uniforme de la police militaire. Cícero, qui rentre régulièrement, apprend à Júlio l’usage des armes pour chasser et nourrir sa famille. Lors d’un séjour, il est pris d’une crise de malaria qui le laisse sans forces. Il raconte alors à son neveu qu’il est tueur à gages pour arrondir ses fins de mois. Il lui demande de remplir le contrat pour lequel il est là. Il s’agit de tuer un pêcheur. “Vise-le au cœur et imagine-toi que tu vas abattre un animal, comme à la chasse.”
Petit à petit, au téléphone, Júlio se livre et décrit sa vie, son mariage, ses enfants, une existence qui semble normale. Il tient un état de ses contrats sur un cahier et, en trente-cinq ans, il totalise quatre cent quatre-vingt-douze meurtres, dont quatre cent quatre-vingt-sept sont répertoriés avec la date, le lieu, la somme perçue, le commanditaire et le nom de la victime. Il raconte, également, comment il s’arrange avec la morale, avec la religion, car il est resté très croyant. Il expose les difficultés avec son épouse lorsqu’il lui avoue la nature de son activité, la façon de gagner sa vie. Mais l’auteur montre un homme sensible, qui exprime ses sentiments, ses craintes, ses émotions.
Autour de ce tueur, qui n’a été arrêté qu’une seule fois dans sa carrière, Klester Cavalcanti décrit le Brésil, ses zones excentrées au cœur de la jungle, la lutte de l’armée contre les communistes et les moyens mis en œuvre pour faire coopérer les populations, la corruption de la police…
Le journaliste livre le récit d’un témoignage hallucinant sur ce personnage, mais aussi sur son environnement tant naturel qu’humain. En effet, il ne se contente pas de retranscrire les confidences de Júlio Santana, il se livre à la recherche d’autres sources, d’autres témoignages, recoupant les informations, les affirmations. Il tente de comprendre et d’expliquer comment un homme ordinaire, qui n’est ni violent, ni agressif, bon père de famille, peut aligner un tel nombre de meurtres. Connu pour son efficacité et sa discrétion, il ne reste pas sans travail. Il ne se passe pas un mois sans qu’il ait une proposition.
Si l’on peut penser que Júlio est unique par le nombre de contrats réalisés, combien d’autres, comme lui, dans ce grand pays, exercent la même activité ?
Avec 492 — confessions d’un tueur à gages, Klester Cavalcanti propose une histoire qu’il est difficile d’oublier tant l’écart est énorme entre l’individu et son parcours dans un environnement dantesque.
serge perraud
Klester Cavalcanti, 492 - Confessions d’un tueur à gages (O nome da morte), traduit de brésilien par Hubert Tézenas, Éditions Métailié, coll. “Bibliothèque brésilienne”, janvier 2018, 224 p. – 18,00 €.