Klester Cavalcanti, 492 — Confessions d’un tueur à gages

Un témoi­gnage glaçant 

Lorsque Kles­ter Caval­canti est cor­res­pon­dant du maga­zine Veja, en Ama­zo­nie, il réa­lise un repor­tage sur le tra­vail esclave, sur ces ouvriers asser­vis par les pro­prié­taires ter­riens, les facen­dei­ros. Ces der­niers n’hésitent pas à user de la force la plus bru­tale, allant jusqu’à payer des tueurs à gages pour for­cer les esclaves à res­ter en fai­sant assas­si­ner des proches. Vou­lant ren­con­trer l’un de ces tueurs, un poli­cier le met en contact avec Júlio San­tana. Entre mars 1999 et jan­vier 2006, il entre­tient avec cet homme des rela­tions télé­pho­niques régu­lières. Celui-ci, peu à peu, raconte sa vie depuis ce 7 août 1971 où, à dix-sept ans, il accom­plit son pre­mier contrat, son pre­mier meurtre com­man­dité.
Júlio vit avec sa famille dans une baraque en bois, dans une région tota­le­ment iso­lée au cœur de la jungle ama­zo­nienne du Bré­sil. Il cultive, dès l’enfance, une ami­tié avec son oncle Cícero, le jeune frère de son père. Celui-ci, est parti pour la capi­tale de l’Etat. Il est revenu vêtu d’un uni­forme de la police mili­taire. Cícero, qui rentre régu­liè­re­ment, apprend à Júlio l’usage des armes pour chas­ser et nour­rir sa famille. Lors d’un séjour, il est pris d’une crise de mala­ria qui le laisse sans forces. Il raconte alors à son neveu qu’il est tueur à gages pour arron­dir ses fins de mois. Il lui demande de rem­plir le contrat pour lequel il est là. Il s’agit de tuer un pêcheur. “Vise-le au cœur et imagine-toi que tu vas abattre un ani­mal, comme à la chasse.”

Petit à petit, au télé­phone, Júlio se livre et décrit sa vie, son mariage, ses enfants, une exis­tence qui semble nor­male. Il tient un état de ses contrats sur un cahier et, en trente-cinq ans, il tota­lise quatre cent quatre-vingt-douze meurtres, dont quatre cent quatre-vingt-sept sont réper­to­riés avec la date, le lieu, la somme per­çue, le com­man­di­taire et le nom de la vic­time. Il raconte, éga­le­ment, com­ment il s’arrange avec la morale, avec la reli­gion, car il est resté très croyant. Il expose les dif­fi­cul­tés avec son épouse lorsqu’il lui avoue la nature de son acti­vité, la façon de gagner sa vie. Mais  l’auteur montre un homme sen­sible, qui exprime ses sen­ti­ments, ses craintes, ses émo­tions.
Autour de ce tueur, qui n’a été arrêté qu’une seule fois dans sa car­rière, Kles­ter Caval­canti décrit le Bré­sil, ses zones excen­trées au cœur de la jungle, la lutte de l’armée contre les com­mu­nistes et les moyens mis en œuvre pour faire coopé­rer les popu­la­tions, la cor­rup­tion de la police…

Le jour­na­liste livre le récit d’un témoi­gnage hal­lu­ci­nant sur ce per­son­nage, mais aussi sur son envi­ron­ne­ment tant natu­rel qu’humain. En effet, il ne se contente pas de retrans­crire les confi­dences de Júlio San­tana, il se livre à la recherche d’autres sources, d’autres témoi­gnages, recou­pant les infor­ma­tions, les affir­ma­tions. Il tente de com­prendre et d’expliquer com­ment un homme ordi­naire, qui n’est ni violent, ni agres­sif, bon père de famille, peut ali­gner un tel nombre de meurtres. Connu pour son effi­ca­cité et sa dis­cré­tion, il ne reste pas sans tra­vail. Il ne se passe pas un mois sans qu’il ait une pro­po­si­tion.
Si l’on peut pen­ser que Júlio est unique par le nombre de contrats réa­li­sés, com­bien d’autres, comme lui, dans ce grand pays, exercent la même activité ?

Avec 492 — confes­sions d’un tueur à gages, Kles­ter Caval­canti pro­pose une his­toire qu’il est dif­fi­cile d’oublier tant l’écart est énorme entre l’individu et son par­cours dans un envi­ron­ne­ment dantesque.

serge per­raud

Kles­ter Caval­canti, 492 - Confes­sions d’un tueur à gages (O nome da morte), tra­duit de bré­si­lien par Hubert Téze­nas, Édi­tions Métai­lié, coll. “Biblio­thèque bré­si­lienne”, jan­vier 2018, 224 p. – 18,00 €.

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