Silvaine Arabo, Encres II — 2014–2017

L’image qui revient

Sous-titrées “varia­tions autour d’un thème : au fil des barques et des sai­sons”, les encres per­mettent à Sil­vaine Arabo de reve­nir à ses fon­da­men­taux pic­tu­raux qui se déve­loppent entre conti­nuité et varia­tion. L’artiste (et poète mais qui s’en remet ici aux mots des autres) revient à l’anse d’une mer du sud et : en pre­mier plan et de dos, une femme et son enfant contemplent une frêle pirogue et ses quatre rameurs qui passent au loin.
Par le jeu de l’aquarelle et de l’encre, les varia­tions ne portent pas uni­que­ment sur les cou­leurs mais sur le lieu lui-même : s’agit-il d’une anse mari­time ou d’un pay­sage céleste ? Par cette ambi­guïté, le “réa­lisme” se trans­forme en un uni­vers fabu­leux mais sobre et aqua­ti­que­ment aérien.

Silvaine Arabo opte pour la figu­ra­tion oni­rique et quasi légen­daire afin d’atteindre la musique des éthers pour don­ner une éter­nité à la langue plas­tique et atteindre une forme de méta­phy­sique en court-circuitant l’abstraction qui rend les peintres “uni­jam­bistes” comme l’écrit Bazaine dans un texte cité en inci­pit par la créa­trice.
Dans un tel uni­vers, le rythme des sai­sons échappe à la suc­ces­sion clas­sique afin de sug­gé­rer un temps pur. Seuls les poèmes de Sébas­tien Minaux et Léon Bragda sug­gèrent une sorte de scan­sions en un temps souple plus que frag­menté et qui semble ne conce­voir ni arrêt ou terme.

Reve­nant aux cou­leurs douces qu’elle affec­tion dans les tona­li­tés de bleu, rose et vert, là encore les varia­tions jouent à plein ponc­tuées du vol d’oiseaux esquis­sés au moment ou les deux sil­houettes sur le rivage ne quittent pas des yeux l’esquif qui tra­verse, la mer, le ciel ou l’Achéron. Sil­vaine Arabo crée une nou­velle fois une visua­lité par­ti­cu­lière qui arrache l’image à sa cho­séité. Elle ne s’adresse pas seule­ment à la curio­sité du visible mais à son inter­ro­ga­tion d’une scène unique qui sug­gère une absence ou un manque.
L’ensemble tient de l’épure et de la dilu­tion qui rap­porte à l’immanence de l’état de rêve éveillé. La matière à voir se trans­forme et devient l’évidence lumi­neuse mais déca­lée d’un lieu hypo­thé­tique jamais atteint, déserté, perdu ou ima­giné et doté de la puis­sance des choses insues aux­quelles l’artiste se refuse à don­ner une réponse univoque.

Nous sommes comme les six per­son­nages de telles images en sus­pens devant ce qui nous dépasse au moment peut-être où de l’illusion subie nous sommes confron­tés à l’illusion exhi­bée au sein d’une condi­tion lit­to­rale en cette pein­ture en tant que lieu des extrêmes et des bords mer ou ciel qu’importe.

jean-paul gavard-perret

Sil­vaine Arabo, Encres II — 2014–2017, Edi­tions Alcyone, Saintes, 2018 — 28,00 €.

1 Comment

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One Response to Silvaine Arabo, Encres II — 2014–2017

  1. Silvaine Arabo

    Très bel article Jean-Paul, qui a perçu, je crois, l’essentiel de la démarche.
    J’aime la façon dont tu évoques ce jeu des fron­tières entre les dimen­sions “inté­rieure” et “exté­rieure”…
    Merci beaucoup !

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