Les Ziegfeld folies de Pierre Mabille
Depuis 1997, en peinture Mabille travaille sur une seule forme horizontale, répétée, qui “au départ n’a pas de nom” mais que les étudiants des beaux-arts de Nantes la nomment “la mabillette”. Mais la poésie, les mots tiennent une grande part chez l’artiste. Dans les deux cas il cherche toujours une forme dégingandée dans le but de “liquider” certains rapports afin que de chaque mot ou fragment phrastique recèle plusieurs dessins et desseins, plusieurs idées et images associées : bref, des suites de possibilités et d’histoires.
Les mots lui “permettent de ne plus penser à rien” en fomentant « la » liste “jamais terminée” de son “anti-dictionnaire” : une forme « toujours jamais pareille », apparue chez lui pour la première fois en lisant Bureau de tabac de Fernando Pessoa, dans lequel l’enseigne est un repère visuel d’où part la digression narrative.
La poésie de Mabille mixe autant le lettrisme, l’oulipisme que la spontanéité d’un Brautigan avec un objectif précis : « Il y a certaines petites choses / certaines / petites choses / certaines / petites / choses / dont j’aimerais vous parlez ». D’où ce livre inventaire ébouriffé d’objets, d’organes, d’émotions dont le seul ordre est alphabétique. Ce qui — et volontairement — n’ordonnance pas grand-chose.
Mais l’auteur permet de créer des mises à feu sous le ton de la légèreté. Sentiments, petits riens, foule anonyme ou non se mixent selon une communauté avouable ou non. Les amarres comme les amants sont largués sans autre forme de procès mais avec « une mystérieuse loyauté » comme disait Borgès. C’est jouissif et ouvert à souhait.
Bref, comme le titre l’indique : « C’est cadeau ». La où textes et graphismes alternent dans une ronde existentielle.
jean-paul gavard-perret
Pierre Mabille, C’est cadeau, Editions Unes, Nice, 2018, 88 p.