Ananda Devi ose montrer l’excès d’un corps qui doit se ressaisir. L’héroïne (« Couenne ») est une toute jeune femme adipeuse gonflée par son père en un excès de nourriture là où le désir de faire vivre jouxte celui d’une destruction inconsciente. L’auteure a repris une nouvelle de jeunesse pour la métamorphoser avec son goût pour les cas extrême afin d’amener le lectrices et lecteurs sur le rapport à leur corps et celui de l’autre.
Le corps débordant, enfermé, exclu est rémanent dans l’œuvre de l’auteure. Ananda Devi tente de le relever et le sortir du rapport dominant/dominé. Dans ce livre, l’approche de la différence transforme le monstrueux apparent en une « acceptabilité », le singulier en une normalité. À travers cette recherche, les réels enjeux demeurent l’enveloppe charnelle, ses sensations, sa perception, ses identités et ses multiples définitions. Il s’agit de rassembler divers imaginaires par la mise en corps du vécu et ce qu’il possède de sacré et d’unique.
De fait, Ananda Devi explore le corps comme sujet de mutation. Symbolisé, fabulé, mise en scène, métamorphosé, il devient une image au-delà de l’image, une image cherchant le sens de la Présence comme l’analyse George Steiner dans Réelles présences. Les arts du sens.
Une telle typologie possède le pouvoir mystérieux de transformer l’enveloppe physique, vulgaire en corps qui porte et supporte le mystère.
jean-paul gavard-perret
Ananda Devi, Manger l’autre, Grasset, 2018.