Le nouveau livre de Françoise Thom, spécialiste de l’URSS et de la Russie postcommuniste, a le rare avantage d’être entraînant comme un roman policier et limpide comme un article de presse, sans manquer pour autant d’aucune des qualités qu’on attend d’un travail d’historien. La spécialiste nous explique d’abord les origines du poutinisme – bien plus anciennes que l’avènement de Poutine –, en insistant sur “l’organisation spontanée du tissu social [russe] en clans, dans tous les domaines d’activité“, qui fait que “dans une telle société, il est pratiquement impossible de défaire le nœud entre criminalité organisée, structures de force (police, services spéciaux, armée, Parquet) et bureaucratie“ (p. 19). Elle analyse de façon lumineuse le “penchant des citoyens post-communistes pour les régimes autoritaires“ et les raisons pour lesquelles il est impossible de mettre en place un régime représentatif en Russie (p. 23).
Plus loin, en commentant l’évolution de l’économie, Françoise Thom démonte l’idée reçue d’une amélioration globale due à Poutine, pour observer que son système “vise à rendre tous les Russes, riches et pauvres, économiquement dépendants de l’Etat comme ils l’étaient à l’époque soviétique: c’est la seule garantie du contrôle sur les individus“, et qu’il atteint son but : “un sondage d’août 2017 révèle que 8% seulement des Russes sont prêts à vivre de manière indépendante de l’Etat“ (p. 81).
L’ouvrage n’est pas moins instructif pour ce qui concerne la politique internationale. Françoise Thom nous rappelle que “bon nombre des thèmes de l’islamisme d’aujourd’hui est puisé dans le florilège kominternien de la rhétorique anti-impérialiste“ (p. 188), et nous renseigne de façon à la fois concise et précise sur “la stratégie de nuisance tous azimuts“, développée du temps du communisme, et reprise dès 1996, pour se muer sous Poutine en “véritable guerre psychologique contre les pays occidentaux“ (p. 189). L’un de ses buts consiste à “anéantir L’Occident sous sa forme civilisationnelle actuelle“, comme l’explique en toute franchise un sociologue, Alexandre Bovdounov, de l’Université de Moscou (p. 192). Souhaitant notamment déstabiliser l’Union européenne, la Russie s’y emploie en agissant “par la périphérie“, en soutenant à la fois l’extrême gauche et l’extrême droite dans des pays comme la Grèce, la Hongrie, la Bulgarie, mais aussi en France et en Italie (pp. 199–200).
Dans le dernier chapitre de l’ouvrage, Françoise Thom met le lecteur en garde contre le processus de déperdition de la liberté, d’abdication devant l’insanité et d’indifférence à la vérité, qu’on peut observer non seulement en Russie, mais aussi chez nous, et qui se manifeste de façon frappante aux Etats-Unis à travers Donald Trump (pp. 219–221). Souhaitons que nos hommes politiques lisent au moins ce chapitre, sinon le livre entier.
agathe de lastyns
Françoise Thom, Comprendre le poutinisme, Desclée de Brouwer, février 2018, 20 p. – 17,90 €.
Pingback: Comment Poutine a-t-il remporté la demi-finale France-Belgique et comment va-t-il récidiver en finale? – Bernard Grua | Regards sur le monde