Bettina Rheims, Les détenues

Le dedans et le dehors : Bet­tina Rheims

Entre sep­tembre et novembre 2014, Bet­tina Rheims a pho­to­gra­phié dans quatre éta­blis­se­ments péni­ten­tiaires fran­çais pour femmes ses «Déte­nues». L’artiste y pro­longe son tra­vail de repré­sen­ta­tion de la fémi­nité. Elle prend ici un angle par­ti­cu­lier et inat­tendu. Les femmes sont expo­sées hors de toute dié­gèse, devant une sur­face écrue afin d’effacer le contexte de la pri­son. La pho­to­graphe a voulu redon­ner à ces femmes — pri­vées de miroir dans leur cel­lule et sou­vent oubliées même de leur famille — une dignité sans voyeu­risme ou juge­ment.
Dans des condi­tions de prise com­pli­quée et avec l’autorisation préa­lable de l’administration péni­ten­tiaire, elle a pho­to­gra­phié des volon­taires prêtes à accep­ter sa pro­po­si­tion. Elle les a étaient coif­fés et maquillées (lorsqu’elles l’acceptaient) afin de leur per­mettre de retrou­ver une estime d’elles-mêmes en un lieu de réten­tion où elles demeurent sou­vent seules, décon­nec­tées même de leur propre corps. Les pho­tos s’accompagnent d’un texte ( «Frag­ments»). Il s’agit d’une forme de fic­tion à par­tir d’un jour­nal de tour­nage faite d’une reprise des notes vocales que la créa­trice enre­gis­trait après chaque jour­née dans les pri­son et les séances de prises de vue.

L’image cherche à recons­truire des vies défaites que Bet­tina Rheims a pu connaître au moment des dis­cus­sions préa­lables et pen­dant la sai­sie de bien des élé­ments. De l’ensemble émane une conti­nuité dou­lou­reuse mais latente. Les femmes ne sont plus les bat­tantes que sou­vent l’artiste a sai­sies jusque là : on se sou­vient de sa pré­cé­dent série sur les Femen.
La conso­la­tion ne semble ici guère pos­sible même si les émo­tions semblent tues. Sou­vent les femmes paraissent plus absentes que pré­sentes au moment où cer­taines semblent trou­ver dans ce temps de pose et de remise en image un répit. De manière mini­ma­liste, une souf­france qui, peut-être, ne se recon­naît plus pour telle, emplit l’espace d’une pré­sence sourde au moment où le “décor” ou son absence impose un tempo uni­forme, décom­pose l’être par l’assaut réitéré de ces corps plus ou moins en lam­beaux et dont tout désir semble avoir disparu.

Par sa pau­vreté pro­gram­mée, une telle recherche fait écho à l’affirmation d’un manque, d’une incer­ti­tude d’être et d’avoir été. Bet­tina Rheims sou­ligne une perte irré­mé­diable et de tou­jours comme si le vain déploie­ment des lignes des visages ne pou­vait que sug­gé­rer le vide sur lequel vaque une sorte de silence au nom d’une tra­jec­toire où tout était ins­crit afin d’aboutir presque irré­mé­dia­ble­ment à de telles échéances péni­ten­tiaires. Ne res­tent que les ultimes lumières et ombres.
L’artiste donne corps en cet espace à une ico­no­gra­phie qui est à la fois centre et absence qui ouvre la par­tie cachée d’une réa­lité secrète. On ne peut sou­dain regar­der la réa­lité du monde et ses phé­no­mènes d’une part et l’art de l’autre. De ce der­nier émerge la capa­cité d’exclusion de tout pathos ou voyeu­risme en un tra­vail moins d’abstraction de la repré­sen­ta­tion que de son dépouillement.

jean-paul gavard-perret

Bet­tina Rheims, Les déte­nues, Pré­face de Robert Badin­ter, texte de Nadeije Laneyrie-Dagen et de la pho­to­graphe, Edi­tions Gal­li­mard, 2018, 180 p.
Expo­si­tion Châ­teau de Vin­cennes du 9 février au 30 avril 2018.

1 Comment

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One Response to Bettina Rheims, Les détenues

  1. Carreira

    Superbe chro­nique qui vient en com­ple­ment de celle publiée y a deux jours…

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