Fausses confidences et stars des nuits californiennes
Le livre ovniesque du cinéaste avant-gardiste, fétichiste et sataniste, Kenneth Anger fut écrit à Paris d’un seul jet et d’abord publié dans une version courte et « édulcorée » (partiellement) par Jean-Jacques Pauvert à Paris. Publié dans sa version intégrale aux USA en 1975 quinze ans plus tard, il fit scandale et fut interdit. Mais la version complète publiée en français par Tristram prouve la puissance de feu d’un auteur qui ose tout et n’hésite pas à déballer les miasmes sordides cachés sous les clinquants de la société du spectacle d’Hollywood.
Sont rappelés par exemple la mort par ingestion de mercure de l’actrice Olive et le scandale qui naquit autour de son mari Jack Pickford, les addictions à la drogue de nombreuses actrices et acteurs, les accusations de viol d’Errol Flynn, un nombre (certain) d’adultères, de déclins de carrières (Louise Brooks par exemple) et de suicides. Sans oublier toute une série de meurtres, de cas d’homosexualités masculines et féminines tues et cachées à une époque où il était vital de ne pas en faire état. Le tout sans compter des « scoops » plus ou moins douteux selon lesquels Chaplin se serait épris d’une Lolita de 7 ans et qu’un amant de Jean Harlow se serait suicidé après avoir voulu la satisfaire à l’aide d’une prothèse phallique.
Toute l’usine à rêves en prend pour son grade. Le livre venimeux est forcément traité de ramassis de ragots et il est traité par un mépris comme si la « bonne » société devait s’en préserver. L’auteur est accusé d’inventer des légendes noires à partir de fantasmes et de rumeurs tirés des poubelles du cinéma. L’auteur se retrouve même pour certains feuillotonistes complice implicite de Charles Manson et ses sbires… Mais il ne cherche pas à se défendre et reste, en natif de la cité des Anges et voisin des studios, passionné des intrigues de la « cité des anges ».
Lecteur du « Confidential » (pionnier « exemplaire » de la presse people), il collectionne les photos, découpe des articles, compile les « fake news » toujours plus intéressantes que les semblants de vérité.
Quoique longtemps interdit, le livre circula sous le manteau et devint un texte culte. Il reste l’exemple type des débordements qu’une société dite morale fomente lorsque la carapace des semblants s’ouvre et que ses maîtres du jeu dérapent.
Hollywood Babylone appartient depuis aux objets trouvés de la contre-culture. Il y a là bien sûr à boire et à manger. Et il serait intéressant de voir l’accueil que de telles révélations produiraient aujourd’hui. La vérité est sans doute souvent peu au rendez-vous, mais le décor demeure superbe et les détails croustillants. Le lecteur peut se perdre en conjectures mais se doit, comme disait Chirac, « de raison garder » face à un écheveau ou plutôt un tissage de mensonges et de vérités.
Ce texte ouvrit néanmoins certaines portes à la littérature post-fitzgeraldienne : il devint le terreau de grands livres californiens qui allaient prospérer sur ce paradis et fumier. On pense bien sûr aux Dahlia noir et L.A. Confidential de James Ellroy en premier.
jean-paul gavard-perret
Kenneth Anger, Hollywood Babylone, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Gwilym Tonnerre, Ed. Tristram , 2018, 310 p. — 11,95 €.