Gérard Mordillat, Jérôme Prieur & Éric Liberge, Le Suaire — t.1 : Lirey 1357

Aux ori­gines du mys­tère du suaire de Turin

L’intrigue de ce pre­mier tome se construit autour des trois per­son­nages prin­ci­paux que sont Lucie, une jeune nonne, Henri, son cou­sin, et Tho­mas, son confes­seur. Le récit débute par un pro­logue muet où des sol­dats romains cru­ci­fient un homme, bien loin de la manière pré­sen­tée par toutes les œuvres d’art trai­tant du sujet. Lucie se dévoue pour les malades et pour les pauvres à l’abbaye de Lirey, dans la région de Troyes. Elle a pro­noncé ses vœux. Tho­mas, un prieur, et quelques moines ont fait un pèle­ri­nage en terre Sainte et rap­porté un mor­ceau de la vraie Croix.
Pour cette pres­ti­gieuse relique, ils veulent bâtir une abba­tiale digne de ce qu’il faut abri­ter. Mais l’argent manque pour conti­nuer l’édification. Henri, l’évêque de Troyes, sol­li­cité, pro­met d’essayer de trou­ver des fonds. Tho­mas, qui est un des neveux du pape, ne peut rien deman­der, celui-ci ayant déjà bien à faire en Avi­gnon.
Henri et Tho­mas sont amou­reux de Lucie. Le pre­mier veut la faire renon­cer à ses enga­ge­ments pour aider ses parents. Le second veut la gar­der comme nonne. Un jour, elle porte secours à un homme qui, à l’image du Christ, traîne une croix en tête d’un groupe de fla­gel­lants. Elle essuie son visage avec un linge, un linge que Tho­mas récu­père. L’empreinte sur le tissu lui donne des idées qui met­traient fin à ses pro­blèmes financiers…

Les scé­na­ristes retiennent, comme cadre de leur tri­lo­gie, une France encore sous le coup des ravages de la peste noire, cette mala­die qui tua entre 30 et 50 % de la popu­la­tion euro­péenne en cinq ans. Ils mettent en scène les grandes caté­go­ries com­mu­nau­taires qui consti­tuaient l’essentiel de la société de l’époque, enfin celles dont l’écho est par­venu jusqu’à nous. Il est cer­tain qu’il y eut peu d’écrits sur le sort des serfs et autres pay­sans au fin fond de leur cam­pagne. Le monde reli­gieux, avec ses diverses com­po­santes, est omni­pré­sent.
Le Suaire de Turin, cette relique cen­sée avoir conservé le visage de Jésus après la cru­ci­fixion sus­cite bien des inter­ro­ga­tions. Si les croyants acceptent l’explication don­née par un clergé peu objec­tif, les moins croyants se posent bien des ques­tions et les non croyants réfutent la légende, aussi belle soit-elle.

Les scé­na­ristes apportent une expli­ca­tion qui a le mérite d’être cohé­rente et par­fai­te­ment accep­table compte tenu du contexte de la période. Autour de ce suaire, ils nour­rissent leur récit de nombre d’informations, de don­nées sur l’époque et construisent une intrigue quant au deve­nir du trio sur lequel ils bâtissent leur his­toire. Ils montrent les pro­blèmes finan­ciers ren­con­trés par ces bâtis­seurs dont on admire aujourd’hui les majes­tueux édi­fices sans se poser la ques­tion de leur finan­ce­ment. Certes, l’élan de la foi aidait, certes les gens vivaient de peu, mais mal­gré tout, il fal­lait des fonds car rien n’était vrai­ment gra­tuit. Ils démontrent l’impact que pou­vaient avoir les reliques, ces reliques de haute lignée qui géné­raient des pro­fits consi­dé­rables pour qui les pos­sé­dait.
Ce récit est mis en images par Eric Liberge. Ce des­si­na­teur n’arrête pas d’étonner tant son œuvre est magni­fique. Il pro­pose des pages sublimes en noir et blanc qui mettent en valeur le décor hiver­nal de ce mois de février 1357, en Cham­pagne, avec des per­son­nages qui portent essen­tiel­le­ment des vête­ments de ces teintes.

Le Suaire se décline en une tri­lo­gie sur trois époques, en trois lieux. Après la Cham­pagne du XIVe siècle, ce sera l’Italie turi­noise du XIXe siècle, puis l’Espagne du XXIe siècle. Les trois per­son­nages vont voya­ger dans le temps avec pour fil rouge ce Suaire de Turin, relique authen­tique ou fabri­quée. Un magni­fique volume pour une superbe his­toire enlu­mi­née à la façon d’un livre d’heures par Éric Liberge au som­met de son art.

serge per­raud

Gérard Mor­dillat & Jérôme Prieur (scé­na­rio), Éric Liberge (des­sin), Le Suaire – t.1 : Lirey 1357, Futu­ro­po­lis, jan­vier 2018, 80 p. – 17,00 €.

 

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