André Bourachot, Joffre. De la préparation de la guerre à la disgrâce, 1911–1916

Une contri­bu­tion dont on ne pourra plus faire l’économie dans les débats sur la Grande Guerre

Le maré­chal Joffre com­mande à l’armée fran­çaise de 1911 à 1916. Encore aujourd’hui, presque 100 ans après la vic­toire de la Marne, il conti­nue de sus­ci­ter de nom­breuses inter­ro­ga­tions. Dès son époque, il est devenu la cible de viru­lentes cri­tiques qui se sont ampli­fiées par la suite. Le livre du géné­ral Bou­ra­chot apporte des élé­ments inté­res­sants afin de cer­ner cette per­son­na­lité com­plexe.
Franc-maçon sans être idéo­logue, de gauche sans être par­ti­san, Joffre a la par­ti­cu­la­rité d’être ori­gi­naire de l’arme du génie. Un ingé­nieur en quelque sorte, qui pèse dans son atti­tude et ses réflexions au moment du conflit.

Le por­trait qu’en dresse le géné­ral Bou­ra­chot est tout en nuances. Il ana­lyse, avec esprit cri­tique, un recul et une bonne dose d’objectivité, les qua­li­tés et les défauts de l’homme. Il le replace sur­tout dans le contexte de son époque. On ne peut donc que se féli­ci­ter du cha­pitre consa­cré à la fameuse mys­tique de l’offensive.
A cet égard, le géné­ral Bou­ra­chot remet en cause cer­taines idées reçues, comme l’influence de Grand­mai­son, l’existence d’un véri­table plan d’opération (le plan XVII n’est qu’un plan de concen­tra­tion) mais il confirme l’impréparation de l’armée à la guerre moderne et sur­tout l’absence de toute volonté de Joffre de chan­ger ces fâcheuses ten­dances. Il regrette éga­le­ment l’effacement du pou­voir civil, dès les années d’avant-guerre, qui s’en remet au G.Q.G. et à son chef. Cela ali­men­tera les réflexions sur la « dic­ta­ture » de Joffre en 1914.

Après un cha­pitre un peu ardu sur la loi des Trois ans, sur l’emploi des réserves et de l’artillerie lourde (élé­ments tou­te­fois essen­tiels pour com­prendre la déroute fran­çaise du mois d’août 1914), on en vient au feu de l’action, aux batailles des fron­tières et de la Marne. L’armée fran­çaise, « intoxi­quée à l’offensive », se fait étriller, au prix de 216 000 pertes en août 1914.
Les res­pon­sables d’une telle héca­tombe ? Le géné­ral Bou­ra­chot en dresse la liste la plus exhaus­tive pos­sible, de la nation toute entière aux cadres subal­ternes, en pas­sant par le pou­voir poli­tique et Joffre. Ce der­nier a sa part de res­pon­sa­bi­lité, mais ni plus ni moins que les autres. Il est décrit comme un homme pru­dent, minu­tieux, agis­sant en fonc­tion de ren­sei­gne­ments sûrs mais il ignore deux réa­li­tés : l’ampleur du débor­de­ment par la Bel­gique et l’emploi des corps de réserves par les Allemands.

Au sujet de la bataille de la Marne, l’étude des rôles res­pec­tifs de Joffre et de Gal­lieni est minu­tieu­se­ment menée. La conclu­sion de Bou­ra­chot est claire, c’est Joffre qui l’a gagnée parce que, à la dif­fé­rence du Gou­ver­neur Mili­taire de Paris, il pos­sède une vision glo­bale du front, de cette gigan­tesque bataille qui se déroule de Ver­dun à Paris, et dont la Marne n’est que l’aspect le plus spec­ta­cu­laire. Gal­lieni ne sort pas grandi du por­trait qu’en dresse l’auteur !
Les cha­pitres sui­vants nous per­mettent de bien com­prendre les rai­sons pour les­quelles Joffre s’obstine dans les gri­gno­tages de 1915 et sa part, là aussi, de res­pon­sa­bi­lité dans les reculs fran­çais dans les pre­miers jours de l’offensive alle­mande sur Ver­dun, en reve­nant sur l’ensemble des cri­tiques qui lui ont été adres­sées.
Les deux der­niers cha­pitres — Joffre et les poli­tiques et la ques­tion des limo­geages — apportent d’utiles ren­sei­gne­ments sur les rela­tions que Joffre entre­tient avec le monde par­le­men­taire qui finit par avoir sa tête en 1916, et avec ses subor­don­nés dont plu­sieurs craquent au moment des drames de l’été 1914.

En revanche, on s’interroge sur la per­ti­nence de leur place en toute fin de volume. De plus, on ne peut que regret­ter l’absence, dans la biblio­gra­phie comme dans les notes, d’historiens dont les livre qui sont deve­nus des fon­da­men­taux pour l’étude de la Pre­mière Guerre mon­diale : Guy Pedron­cini, le géné­ral Bach, André Cor­vi­sier, Michel Goya. Cela dit, la lec­ture de ce livre apporte une contri­bu­tion dont on ne pourra plus faire l’économie dans les débats sur la Grande Guerre et sur la place qu’y occupe Joffre.

f. le moal

   
 

André Bou­ra­chot, Joffre. De la pré­pa­ra­tion de la guerre à la dis­grâce, 1911–1916, Paris, Ber­nard Gio­va­nan­geli Edi­teur, 2010, 255 p. — 20,00 €

 
     
 

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