Une contribution dont on ne pourra plus faire l’économie dans les débats sur la Grande Guerre
Le maréchal Joffre commande à l’armée française de 1911 à 1916. Encore aujourd’hui, presque 100 ans après la victoire de la Marne, il continue de susciter de nombreuses interrogations. Dès son époque, il est devenu la cible de virulentes critiques qui se sont amplifiées par la suite. Le livre du général Bourachot apporte des éléments intéressants afin de cerner cette personnalité complexe.
Franc-maçon sans être idéologue, de gauche sans être partisan, Joffre a la particularité d’être originaire de l’arme du génie. Un ingénieur en quelque sorte, qui pèse dans son attitude et ses réflexions au moment du conflit.
Le portrait qu’en dresse le général Bourachot est tout en nuances. Il analyse, avec esprit critique, un recul et une bonne dose d’objectivité, les qualités et les défauts de l’homme. Il le replace surtout dans le contexte de son époque. On ne peut donc que se féliciter du chapitre consacré à la fameuse mystique de l’offensive.
A cet égard, le général Bourachot remet en cause certaines idées reçues, comme l’influence de Grandmaison, l’existence d’un véritable plan d’opération (le plan XVII n’est qu’un plan de concentration) mais il confirme l’impréparation de l’armée à la guerre moderne et surtout l’absence de toute volonté de Joffre de changer ces fâcheuses tendances. Il regrette également l’effacement du pouvoir civil, dès les années d’avant-guerre, qui s’en remet au G.Q.G. et à son chef. Cela alimentera les réflexions sur la « dictature » de Joffre en 1914.
Après un chapitre un peu ardu sur la loi des Trois ans, sur l’emploi des réserves et de l’artillerie lourde (éléments toutefois essentiels pour comprendre la déroute française du mois d’août 1914), on en vient au feu de l’action, aux batailles des frontières et de la Marne. L’armée française, « intoxiquée à l’offensive », se fait étriller, au prix de 216 000 pertes en août 1914.
Les responsables d’une telle hécatombe ? Le général Bourachot en dresse la liste la plus exhaustive possible, de la nation toute entière aux cadres subalternes, en passant par le pouvoir politique et Joffre. Ce dernier a sa part de responsabilité, mais ni plus ni moins que les autres. Il est décrit comme un homme prudent, minutieux, agissant en fonction de renseignements sûrs mais il ignore deux réalités : l’ampleur du débordement par la Belgique et l’emploi des corps de réserves par les Allemands.
Au sujet de la bataille de la Marne, l’étude des rôles respectifs de Joffre et de Gallieni est minutieusement menée. La conclusion de Bourachot est claire, c’est Joffre qui l’a gagnée parce que, à la différence du Gouverneur Militaire de Paris, il possède une vision globale du front, de cette gigantesque bataille qui se déroule de Verdun à Paris, et dont la Marne n’est que l’aspect le plus spectaculaire. Gallieni ne sort pas grandi du portrait qu’en dresse l’auteur !
Les chapitres suivants nous permettent de bien comprendre les raisons pour lesquelles Joffre s’obstine dans les grignotages de 1915 et sa part, là aussi, de responsabilité dans les reculs français dans les premiers jours de l’offensive allemande sur Verdun, en revenant sur l’ensemble des critiques qui lui ont été adressées.
Les deux derniers chapitres — Joffre et les politiques et la question des limogeages — apportent d’utiles renseignements sur les relations que Joffre entretient avec le monde parlementaire qui finit par avoir sa tête en 1916, et avec ses subordonnés dont plusieurs craquent au moment des drames de l’été 1914.
En revanche, on s’interroge sur la pertinence de leur place en toute fin de volume. De plus, on ne peut que regretter l’absence, dans la bibliographie comme dans les notes, d’historiens dont les livre qui sont devenus des fondamentaux pour l’étude de la Première Guerre mondiale : Guy Pedroncini, le général Bach, André Corvisier, Michel Goya. Cela dit, la lecture de ce livre apporte une contribution dont on ne pourra plus faire l’économie dans les débats sur la Grande Guerre et sur la place qu’y occupe Joffre.
f. le moal
André Bourachot, Joffre. De la préparation de la guerre à la disgrâce, 1911–1916, Paris, Bernard Giovanangeli Editeur, 2010, 255 p. — 20,00 € |
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