Roland de Margerie, Journal, 1939–1940

Un riche témoi­gnage sur la défaite de 1940

C’est un très beau et riche témoi­gnage his­to­rique que publie les édi­tions Gras­set, avec le Jour­nal de Roland de Mar­ge­rie. En effet, ce der­nier, chef du cabi­net diplo­ma­tique de Paul Rey­naud, vit, au cœur même du pou­voir, le drame de mai-juin 1940. Ses sou­ve­nirs nous trans­portent dans une période brû­lante, pen­dant laquelle la France, fort mal gou­ver­née, s’écroule sous les coups de la Wehrmacht.

Le livre — plus un récit auto­bio­gra­phique qu’un jour­nal à pro­pre­ment parlé — couvre toute la période de la Drôle de Guerre puis de la débâcle. Il s’ouvre sur les der­niers jours de paix, en août 1939 et s’achève sur l’été 1940, une fois l’armistice signé et la France Libre ins­tal­lée à Londres. Roland de Mar­ge­rie, issue d’une grande famille de diplo­mate (son père, Pierre, a joué un rôle essen­tiel dans la diplo­ma­tie fran­çaise avant et pen­dant la Grande Guerre), quitte alors son poste de Londres pour revê­tir l’uniforme. Son pas­sage, de quelques mois, dans l’armée fran­çaise lui per­met d’en sai­sir toutes les insuf­fi­sances. Encore sa des­crip­tion est-elle bien en deçà de la triste réa­lité de 1939–1940.

Il entre ensuite à l’état-major du géné­ral en chef Game­lin, avant d’être appelé au Cabi­net de Paul Rey­naud, quand celui-ci devient pré­sident du Conseil. Il se trouve donc au centre des rouages mili­taires et poli­tiques de la France en guerre. Une place de choix pour juger les évè­ne­ments et les hommes.

Son récit confirme l’inertie du géné­ral Game­lin, très vite dépassé par les évè­ne­ments, les contra­dic­tions de Paul Rey­naud sou­mis à des pres­sions contra­dic­toires, sa ver­sa­ti­lité et son impos­si­bi­lité à tran­cher, la fer­meté du colo­nel, puis géné­ral de Gaulle, les divi­sions et les intrigues qui empoi­sonnent le monde des déci­deurs, le rôle néfaste de la maî­tresse de Rey­naud, Hélène de Portes. Il apporte des détails très riches sur la cam­pagne de Nor­vège, sur la ques­tion de l’Italie fas­ciste, sur les rap­ports avec les alliés bri­tan­niques. Enfin, il décrit, avec des détails minu­tieux, et dans une belle langue fran­çaise, le cata­clysme de la défaite de mai 1940 et l’impuissance des Fran­çais à y faire face. Le récit sur la ten­ta­tion de Rey­naud d’envisager, le 26 mai, une paix sépa­rée et la rup­ture avec Londres apporte des élé­ments nou­veaux et passionnants.

Bien évi­dem­ment, ce récit, aussi riche soit-il, doit être sou­mis à la cri­tique his­to­rique. Les por­traits sont sou­vent féroces, l’auteur est engagé dans le refus de l’armistice et juge ses par­ti­sans à l’aune de sa propre posi­tion. Il appar­tient au groupe qui, auprès de Rey­naud, le pousse à ne pas céder et à pour­suivre la guerre en Afrique du nord. Il en par­tage plu­sieurs illu­sions, dont celle de croire que les pro­po­si­tions alle­mandes pour un armis­tice seront reje­tées du fait de leur dureté et que la guerre conti­nuera. Pour autant, il ne ral­lie pas de Gaulle et pré­fère accep­ter un poste diplo­ma­tique à Shan­ghai, dans la loin­taine Chine.

Ce livre, dense et pré­cis, est aujourd’hui incon­tour­nable pour toute étude sur cette période de drames de haute intensité

f. le moal

   
 

Roland de Mar­ge­rie, Jour­nal, 1939–1940, pré­face d’Eric Rous­sel, Gras­set, avril 2010, 408 p. — 22,00 €

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