George Besson (1882–1971) est un autodidacte originaire du Jura. Dès l’âge de 25 ans, il rencontre Signac, Marquet, Bonnard et Matisse. Puis, grâce Francis Jourdain, Van Dongen, Vallotton, Marquet. Il fonde avec lui en 1912 « Les Cahiers d’aujourd’hui » pour défendre ses options novatrices : s’y retrouvent les signatures de Léon Werth, Octave Mirbeau, Elie Faure, Emile Verhaeren, Jules romain, Valéry Larbaud, Colette et des dessins de Bonnard, Vuillard, Albert André, Matisse, Marquet, Renoir, Rodin, Signac. A partir de 1925, il est directeur artistique de plusieurs maisons d’édition avant de se consacrer à la chronique artistique des “Lettres Françaises” d’Aragon. Il devient donc le fer de lance esthétique du Parti communiste et s’arrime à un but (sans doute restrictif) : défendre la peinture figurative de tradition française et de combattre l’abstraction.
Sa vision demeure donc un peu classique. Picasso est peu de son fait en dépit d’un petit copinage avec le P.C.F.. Toutefois il n’aura pas raté Matisse. La relation entre eux demeurer constante. Elle se concrétise — entre autres — par près de deux cents lettres demeurées en grande partie inédites. Elles sont surtout intéressantes par ce que dit le plasticien de son œuvre et de l’attention qu’il porte aux discours et jugements à son sujet. Il apparaît fois soucieux de son image sociale mais – et cela demeure plus intéressant – arrimé à ses recherches sur le dessin, la couleur. Le tout est complété de brouillons d’articles, télégrammes, réponses à des critiques d’art, corrections de textes.
Ce beau travail est le fruit de celui de Chantal Duverget. Le peintre y apparaît dégagé de ses apparats et étiquettes. Certes, il n’existe pas de scoops mais une approche vivante et parfois presque énervée. L’artiste peut se faire expéditif et cassant comme dans ce télégramme : « ETUDE CLAUDINET [Claude Roger-Marx] REMPLIE DE JUGEMENTS FAUX EST EN OPPOSITION ABSOLUE AVEC SA CONCLUSION STOP PRIE INSTAMMENT NE PAS IMPRIMER AINSI STOP VOUS PREPARE LETTRE EXPLICATIVE CORDIALEMENT MATISSE ». Et l’artiste s’exécute pour préciser sa pensée : « Quelqu’un, un directeur de journal répondait à un artiste qui se plaignait d’avoir été mal arrangé par son critique : n’oubliez pas, mon ami, que demain on allumera le feu avec le journal d’aujourd’hui. Il partit consolé. Pour le cas, ça n’est pas aussi simple (…) Aussi, malgré mon habitude qui est de ne jamais protester, je ne puis laisser passer ce texte qui me juge, à mon point de vue, d’une façon inexacte » Et l’artiste d’exécuter le beau parleur : « sa rétine n’est pas tout ».
D’autant que chez ce sombre diseur il semble ne pas y avoir suffisamment de “qualité de cerveau derrière”. Matisse devient semble pointilleux mais de facto il défend la puissance de ses dessins et de couleurs qui n’obéissent pas à la discipline apprise. Il rappelle que si les qualités instinctives sont visibles dans son œuvre, il ne faut pas oublier ce qui « prépare » la pulsion créatrice.
Dès lors, celui qui espère « avoir mis un peu d’ordre dans mon chaos, en gardant vive la petite lumière qui me guide et répond encore énergiquement aux SOS assez fréquents » demande à ceux qui parlent de son travail la même intelligence. Il rappelle à qui de droit et à Besson lui-même qu’il ne convient pas de confondre la simplicité du cœur et celle des moyens et qu’une certaine prétendue « maladresse » ne déforme jamais intempestivement. Il en veut à touts ses « savants négligés » qui racornissent sa peinture en spéculant de manière hasardeuse dessus.
C’est parfois cruel mais vivifiant. Et prouve par-dessus tout l’emportement naturel de celui qui, emporté par son œuvre et son génie, sent le besoin irrépressible de river le clou à ceux qui en manquent cruellement. Bravo Monsieur Matisse !
jean-paul gavard-perret
George Besson & Henri Matisse, De face, de profil, de dos, L’atelier Contemporain, Strasbourg, 2018.