Celui qui a renoncé à l’ennui : entretien avec l’écrivain Charles Duttine ( Folklore)

L’œuvre de Charles Dut­tine tra­verse – avec humour – le temps à la recherche d’invariants un peu à la manière de Michel Tour­nier. Non que les démarques des dif­fé­rentes époques n’aient rien changé. Mais avant même que le Christ et bien d’autres fussent mis en croix, les mythes avaient des­siné des méca­nismes natu­rels ou divins que les cultures pre­mières ont bâtis. Dut­tine a remis la main des­sus pour les connec­ter à notre époque et selon une pers­pec­tive dyna­mique qui prouve que l’homme n’est pas seule­ment esclave du maté­ria­lisme mais des pre­mières échéances de ses abîmes.

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Quelque chose en moi me dit que mes rêves noc­turnes ont fait leur œuvre et qu’il est temps pour moi de sor­tir de mon lit. Et puis, j’aime ce moment gri­sâtre où les toutes pre­mières lueurs renaissent et où la noir­ceur de la nuit s’évapore.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
J’espère qu’ils sont tou­jours pré­sents en moi. Etran­ge­ment, j’ai l’impression qu’entre l’enfant ou l’adolescent que j’ai été et l’adulte que je suis devenu, les choses n’ont guère bougé.

A quoi avez-vous renoncé ?
A l’ennui.

D’où venez-vous ?
Géo­gra­phi­que­ment, je viens d’un petit bourg non loin du point géo­mé­trique cen­tral de la France. His­to­ri­que­ment, je suis né à un autre milieu, celui du XX°.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Peu de choses maté­rielles, mais une cer­taine curio­sité intel­lec­tuelle. Et tout natu­rel­le­ment, j’ai pour­suivi avec des études de philosophie.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Tous les jours, je m’offre la lec­ture d’une page de poé­sie, au moins. Les poètes fran­çais et ceux dont je maî­trise la langue et que j’essaie de lire en v.o. (anglais et allemand)

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres poètes?
Je me sens plu­tôt proche d’eux…

Com­ment définiriez-vous votre approche du mythe dans vos textes ?
Pour faire simple, le mythe cor­res­pond à quelque chose de très pro­fond en cha­cun de nous. Il y a, en nous tous, un peu d’Orphée, d’Erostrate, d’Œdipe ou de Don Juan…

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Pour le livre, le point de départ a été la ren­contre sur un quai de gare d’une jeune femme et de son amou­reux. Le train par­tait vers la ban­lieue où j’allais éga­le­ment. Je sen­tais chez ces deux jeunes de la déli­ca­tesse et du raf­fi­ne­ment. Pour moi, c’était indé­niable, ils incar­naient Eury­dice et Orphée. Et cette image a été le point de départ de la pre­mière nou­velle « Eury­dice et le Tar­tare ».Quant aux pre­mières images qui m’ont mar­qué, enfant, ce sont les illus­tra­tions d’un vieux Larousse. Cer­taines viennent encore me han­ter dans mes rêves.

Et votre pre­mière lec­ture ?
J’ai le sou­ve­nir qu’en école pri­maire notre ins­ti­tu­teur nous fai­sait lire de grands textes lit­té­raires, le ven­dredi après-midi pour nous faire oublier cer­tai­ne­ment les rigueurs gram­ma­ti­cales ou les sévères mathé­ma­tiques. Je pense que le pre­mier texte m’ayant mar­qué doit être La Fon­taine. Si j’essaie de me replon­ger dans les sen­sa­tions de cette époque-là, j’ai dû être frappé par une langue lim­pide, acces­sible, com­pré­hen­sible et en même temps très travaillée.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’aime écou­ter les musi­ciens de la fin du XIX°, sur­tout Ravel, Debussy, Satie. Et j’adore le jazz…

Quel est le livre que vous aimez relire ?
J’aimerais pou­voir relire à un moment donné tout ce que j’ai aimé. Si le para­dis existe, je sou­hai­te­rais que s’y loge une riche bibliothèque.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Le pre­mier film qui a dû me tirer une grosse larme est « Le voleur de bicy­clette » Et plus récem­ment, j’ai été tou­ché par le film de Kelly Rei­chardt « Cer­taines Femmes », le des­tin de quatre femmes en pleine Amé­rique pro­fonde. Poignant …

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une légende veut que mou­rir revien­drait à pas­ser à tra­vers un miroir. Coc­teau l’a immor­ta­li­sée. Je me plais à inver­ser cette légende. Naître, pour­quoi pas ? Ce serait pas­ser du miroir vers la vie. Et j’ai conservé chez moi un grand miroir qui était placé dans la chambre qui m’a vu naître. Je le regarde sou­vent avec mélan­co­lie. Pour résu­mer mes fan­tas­ma­go­ries, je vois dans un miroir le passé le plus vieux qui me concerne et le futur, j’espère, le plus lointain.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Etu­diant, j’ai voulu écrire une lettre à Roland Barthes. J’y ai renoncé par timi­dité. Il est décédé acci­den­tel­le­ment peu après. Plus récem­ment, j’ai écrit à Michel Tour­nier, six mois avant sa mort. J’ai décidé après ces deux épi­sodes de ne plus jamais écrire à des écri­vains que j’aime.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Incon­tes­ta­ble­ment, ce sont les villes ita­liennes comme Flo­rence, Rome, Naples, Lucques, Vérone … Il y a en elles quelque chose de léger et de pro­fond, de la comé­die mais aussi de la tra­gé­die qui affleure.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Pour être bref, l’écrivain est Michel Tour­nier et l’artiste, Fran­cis Bacon

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Je demande tou­jours des livres. Mes proches s’en agacent disant que ce n’est pas très varié … et pourtant !

Que défendez-vous ?
Je défends ceux qui n’ont pas la parole, notam­ment les ani­maux. Le mer­veilleux livre d’Elisabeth de Fon­te­nay « Le silence des Bêtes » est élo­quent à ce pro­pos si l’on peut dire.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Phrase par­fai­te­ment juste. L’amour ne peut que « rater » ; l’exigence est trop grande ou trop faible. Mais c’est ce qui fait son charme…

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Elle m’amuse.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Peut-être me deman­der si j’ai une devise, je répon­drais volon­tiers avec la for­mule rim­bal­dienne : « Je est un autre ».

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 31 jan­vier 2018.

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