L’Italie face à ses vainqueurs
Cet ouvrage, au titre particulièrement bien choisi — La cage brisée. Les Alliés et l’Italie de 1943 à 1945 (TdA)- analyse le processus politique grâce auquel les gouvernements italiens sont parvenus à desserrer l’étau dans lequel la guerre de Mussolini, les défaites, l’invasion des Alliés et l’armistice du 8 septembre 1943 les avaient enfermés. Ecrit par deux grands spécialistes des relations internationales, dans une langue claire et un style construit, il apporte un regard précis et objectif sur des évènements passablement complexes et souvent étudiés à travers un prisme moralisateur et partisan.
A l’aide d’une abondante bibliographie et de documents d’archives américains, les auteurs expliquent avec force détails le processus qui permet à l’Italie d’échapper, en partie, à son statut de vaincu et de nouer une relation particulière avec les Etats-Unis. Tout au long des chapitres, les vicissitudes internationales restent toujours connectées aux problèmes de politique intérieure, notamment au positionnement de Palmiro Togliatti, le chef des communistes italiens, fort bien décrit. De la même manière, les auteurs reviennent très souvent sur les évènements en Yougoslavie et Grèce qui jouent un rôle fondamental dans toute ces affaires.
Le livre est construit autour de deux grandes parties. La première est consacrée à la période la plus dure pour l’Italie, celle de la « cage » dans laquelle les Alliés la maintiennent. Si les Britanniques veillent en 1943 à protéger les institutions monarchiques italiennes et à maintenir le roi Victor Emmanuel III sur son trône, avec le maréchal Badoglio à ses côtés, ils n’en demeurent pas moins attachés à une paix dure, qui les vengerait des guerres de Mussolini et écarterait définitivement les Italiens de Méditerranée. C’est la raison pour laquelle le gouvernement italien se tourne vers l’Urss et Staline pour obtenir une première et décisive reconnaissance. La diplomatie italienne n’a rien perdu de son habileté.
La seconde partie permet de comprendre comment l’Italie profite d’un contexte international en plein renouvellement avec la fin de la guerre pour s’extraire de sa cage et revenir sur la scène internationale. Les Etats-Unis jouent ici un rôle central. C’est bien là l’un des intérêts du livre. Il s’ouvre d’ailleurs sur le maintien des liens, notamment financiers, entre l’Italie et les Etats-Unis pendant tout le ventennio fasciste, sans parler du poids de l’immigration italienne qui joue un rôle moteur dans la réélection de Roosevelt en 1944 et dans sa réorientation plus favorable à l’Italie. Di Nolfo et Serra montrent très bien comment Washington s’est de plus en plus impliqué dans les affaires italiennes, en reprenant le dessus par rapport aux Britanniques et en leur imposant un « adoucissement ». Les divergences entre les deux alliés apparaissent avec clarté, et dans toute leur profondeur.
De la même façon, le livre confirme le rôle que joue l’Italie dans la dégradation des relations entre les Occidentaux et l’Union soviétique. Il confirme la justesse des analyses de Georges-Henri Soutou qui, dans La Guerre de Cinquante ans, fait commencer la Guerre froide avec l’armistice italien dont sont exclus les Soviétiques. Il existe, dès le début, une volonté anglo-saxonne de limiter, autant que faire se peut, l’influence soviétique et d’empêcher Moscou de prendre pied en Italie et donc en Méditerranée. Les Italiens surent en tirer parti, dans le faible espace de manœuvre dont ils disposaient.
f. le moal
Ennio di Nolfo, Maurizio Serra, La gabbia infranta. Gli alleati e l’Italia dal 1943 al 1945, Roma-Bari, Laterza, 2010, 306 p. — 20,00 € |