Lucie Taëb sait glisser la lumière de l’abîme dans les imageries héroïques d’un boxeur. Celle d’un champion aux « 89 victoires / gondolées et crevées / un regard noir planté sur un corps longiligne / blessé à l’œil par deux coups de pouce ». Cela renverse les mièvreries, transcende les poncifs pour donner à la vie du boxeur comme à l’histoire de la boxe une autre dimension. Pas forcément la plus glorieuse : « c’est monzón qui a tué sa femme / ce jour-là monzón va au tapis /la seule et unique fois de sa carrière ». Existe là une transgression de la narration au profit de l’évocation qui permet au corps lui-même de devenir langage. A coups d’uppercuts, de directs au foie comme à l’amour.
Le boxeur étrangle sa femme, la jette par la fenêtre. Et la poétesse crée un saut vers ce qui échappe à la légende. Ce n’est pas seulement sa femme mais le héros jaloux qui est jeté hors de lui-même tout en faisant pénétrer ce qui secoue désormais moins son buste que son coeur par une fougue doublée parfois d’un désarroi étrange.
Le poème éloigne d’une stratégie narrative ordinaire. A la transgression de l’écriture répond celle homme déclassé et fragile qui, faute de pouvoir s’imposer à l’aimée, reste un gamin, un paumé. Les mots et les rythmes de la poétesse créent non un témoignage mais un chant dégagé de tout pathos.
Elle y inscrit un périple où l’intime du consentement, lorsqu’il est retiré, enclave le boxeur jusqu’à l’intérieur de la chair et de la tête dont la seconde n’a pas la fibre musculaire de la première chez celui qui ne purgera pas sa peine. Il mourra avant.
jean-paul gavard-perret
Lucie Taïeb, C’est Monzon, Maison Dagoit, Rouen, 2018 — 5,00 €.