Il existe chez Philippe Thireau et quel que soit le genre qu’il aborde (poésie, théâtre, roman) la tentation de l’eau claire et des rêves. Mais leurs alléluias ne font pas long feu. L’eau se vêt de rouge car des cœurs y saignent. D’autant que l’auteur saisit des moments paroxysmiques en son théâtre particulier.
En sa « postface » de Mortelle Faveur, l’auteur le qualifie : « Le théâtre qui m’inspire est une œuvre au noir qui s’élabore lentement ». Certes, le tragique qui en est l’épicentre semble quelque peu s’atténuer : « il suffit de prendre une autre route, s’envisager d’autres variables ». Néanmoins, les jeux sont faits. Et depuis toujours. Il échappe au personnage de Cut par exemple. Ses souffrances de la jeunesse sont bercées par une mère abusive dont les paroles salissent celle qui permettrait à l’enfant de sortir du giron de la Jocaste terrorisante. Celle-ci définit la fillette qui veut se défendre de la violence des adultes de « petite sardine puante ».
Certes, Thireau a beau jeu de passer le bébé au lecteur ou au spectateur. Citant Lacan au nom duquel « Le théâtre présentifie l’inconscient », il feint de faire croire que celui qui met le pied dans la fourmilière de ses textes garde une possibilité d’interprétation. Voire… Sans coaguler un sens strict, Thireau le flèche. Du trou de la serrure que l’œuvre ouvre, la vision impose un regard sur l’obscur des liens qui le fomentent. C’est vrai dans J’entends les chiens et Cut.
Comme chez Bataille, l’être est ouvert à la mort, au supplice plus qu’à la joie. Il est plus douloureux que satisfait là où la lumière est voilée et où les bouches tordues sont peu aptes à lancer des chants d’allégresse. D’autant, qu’en décor rémanent, la Seconde Guerre Mondiale et ses horreurs ne sont pas loin. Certes, chacun prétend à sa vérité. Et la mère de Cut ne s’en prive pas. Le fils n’a plus qu’à « exécuter » à tous les sens du terme ses ordres. D’où cette mixture où les êtres se perdent dans un délitement, un pourrissement organique qui mènent vers les silences sans fin.
Il n’est pas qu’aux herbes de ployer sous les gouttes. Celles de la pluie se mêlent à celles du sang. Car les chiens ne sont jamais loin. Car l’Histoire ne finit jamais. L’univers restera trouble. C’est une donnée première à des déroutes et où l’amour n’est qu’une illusion d’optique. Ses jeux sont peu vaporeux et tout juste douceâtres là où l’âge de l’innocence fantasmé est toujours rompu. Toute relation semble le résultat d’une manipulation cherchant à leurrer au nom de diverses fixations. Et il n’est pas jusqu’au « flou » des photographies de Florence Daudé d’être volontairement proches du « filouté ».
Mais c’est pour cela que les œuvres de Thireau s’imposent à nous. Leurs troubles touchent quelque chose dans le vif où la vie se tord, s’agrippe. Pièces et poèmes nous dessaisissent de nos certitudes, de notre sol physique et mental. Ces œuvres rongent sans qu’on puisse y échapper d’autant que, comme l’auteur le rappelle, il nous reste à les interpréter…
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jean-paul gavard-perret
Philippe Thireau,
– Cut (illustrations de Jacques Cauda),
– Mortelle Faveur suivi de J’entends les chiens,
– Le soleil se mire dans l’eau (photos de Florence Daudé),
tous chez Z4éditions, 11,00 €, 9,50 € et 34,00 €, 2018.