Jacques Monory, Exposition (Richard Tait­tin­ger Gal­lery, New York)

Le réel et son double

Monory explique aux singes que nous sommes et qui se veulent savants des récits et fic­tions nés de ren­contres hasar­deuses. Après quelques essais peu satis­fai­sants dans le domaine de l’abstraction, il est passé au milieu des années soixante à une pein­ture nar­ra­tive pour racon­ter des his­toires mêlant à des élé­ments auto­bio­gra­phiques des obses­sions per­son­nelles, des emprunts à l’actualité tra­gique ou à la bana­lité quo­ti­dienne. Pro­cé­dant par mon­tages d’images, par séquences ou épi­sodes un peu à la manière des romans-photos, il se rat­tache aussi bien à une « Figu­ra­tion nar­ra­tive » à la Arroyo ou Erró qu’au Pop Art d’un Rosen­quist.
Jacques Monory pré­sente pour la pre­mière fois ses pein­tures à NewYork grâce à Yoyo Maeght. Son « besoin d’Amérique » trouve là un abou­tis­se­ment. Ses œuvres prouvent tou­te­fois que la plus simple image n’est jamais simple. Il existe tou­jours chez lui un croi­se­ment d’une image enra­gée et d’une image céleste. Comme si le ciel tra­ver­sait tou­jours l’organique le plus cru. En ce sens, il est bien ce “Pré-Voyant” dont par­lait Alain Jouf­froy à pro­pos de l’artiste dès ses pre­mières toiles pleines de larmes d’effroi face à la stu­pi­dité agres­sive de l’homme pri­mi­tif jusqu’à la tech­no­lo­gie sophis­ti­quée de l’actuelle bou­che­rie électronique.

L’Amé­rique — pays ou mythe — occupe une grande place dans sa pein­ture. S’y per­çoit la fas­ci­na­tion pour ses pay­sages, ses grandes éten­dues déser­tiques, le culte presque enfan­tin des objets (voi­tures, revol­vers, cha­peaux), le mélange de sté­réo­types presque fades, de vio­lence et de roman­tisme qui se détache sur un arrière-fond de roman noir. Grand ama­teur de tir, l’artiste va jusqu’à cri­bler de balles des cen­taines de toiles (« après un pas­sage dans l’Arizona où l’inspecteur Harry zona »), notam­ment une série inti­tu­lée Meurtre où il met en scène son propre assas­si­nat dans une atmo­sphère froide et bleue.
Plus géné­ra­le­ment, il existe tou­jours des his­toires cen­sées se pas­ser, comme l’artiste l’indique lui-même, « der­rière ou à coté du tableau, qui, au pre­mier degré, peut sem­bler être une image banale ». Le spec­ta­teur de tels thril­lers  est invité à « se racon­ter » à tra­vers eux, à y gref­fer ses propres fan­tasmes puisque ses tableaux fonc­tionnent comme des grands réci­pients à soupe com­mune et popu­laire d’images.

C’est pour­quoi l’artiste ne cherche jamais la com­plexité mais l’extrême sim­pli­cité. Il impose un démenti à la nor­ma­lité d’usage en son fonc­tion­ne­ment. Monory dérègle les visions par ses mono ou bichromes. Il sou­ligne la bêtise et le confor­misme dans les­quels notre pla­nète de singes est tom­bée au nom dit-il “ d’un rap­port au monde tendu dans un silence cin­glant pour ten­ter de sau­ve­gar­der le désir : le désir de tout –le désir de peindre comme le désir de vivre.“
Le désir sur­tout  d’outrepasser “la bâtar­dise post­mo­derne pour ne plus connaître que l’hyper sen­si­bi­lité et l’hyper moder­nité”. La pein­ture repré­sente un filtre infra-mince qui ne conserve que les sco­ries heu­reuses ou vio­lentes de ce vaste bazar uni­ver­sel avec l’urgence de l’exactitude afin de mettre à mal ce monde qui “finit par res­sem­bler à une caisse, en consigne, dont on ne res­pecte même plus les signes annon­cia­teurs de fra­gi­lité”.

jean-paul gavard-perret

Jacques Monory, Expo­si­tion, Richard Tait­tin­ger Gal­lery, New York, du 12 jan­vier eu 23 février 2018.

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