Valerio Adami, Les Impromptus du matin — Autoportrait

« L’âme tac­tile » de Vale­rio Adami

Amelia Val­to­lina a effec­tué un tra­vail impres­sion­nant pour ser­vir les mots de Vale­rio Adami. Son auto­bio­gra­phie touche par son aspect inso­lite. La den­sité y prend l’élégance de la sim­pli­cité. Celle qui a éta­bli ce livre a retiré l’essence des cahiers de l’artiste  : ils tra­versent le passé et le pré­sent en com­pa­gnie de la Pein­ture et de la Mort.
Ce voyage dans le temps va des évo­ca­tions d’une enfance quasi légen­daire, en pas­sant la seconde guerre mon­diale, jusqu’à la quo­ti­dien­neté du pré­sent (pro­me­nades avec Ego, chien de l’artiste), les atten­tats à Paris, quelques dépla­ce­ments et sur­tout des réflexions sur la pein­ture et le tra­vail dans l’atelier avec en fili­grane l’omniprésence de la mort qui s’approche et apporte à l’ensemble un lyrisme aussi dis­cret que mélan­co­lique : « J’écris dans le jar­din sur le lac à Meina. Je suis vieux main­te­nant, mais je dois ache­ver mon tra­vail, et vice-versa”. ( 7 juin 2018).

Mais remonte du passé le sou­ve­nir de son grand-père, noble sei­gneur et avo­cat des causes per­dues et de sa tante lati­niste : « tous les soirs, quand j’étais enfant, elle me lisait Ovide en tri­co­tant, accom­pa­gnant ses mots du tin­te­ment de son bra­ce­let ». Ces deux figures res­tent les plus gra­vées chez l’artiste. Le grand-père Ric­cardo, sur­tout, « Il avait été l’élève de Car­ducci à Bologne et il me racon­tait ses leçons, et la flasque à vin sur le bureau du pro­fes­seur. Et plus tard aussi, l’amitié avec D’Annunzio qui l’emmena sou­vent dans sa mai­son du lac de Garde. » L’auteur se sou­vient de ses oreilles dont les rats avaient mangé une par­tie dans les tran­chées de la Grande Guerre.
Mais à ces évo­ca­tions se mêle le temps pré­sent : « Je mesure en des­si­nant jour après jour, ici, sur le lac à Meina, com­bien le désordre que ma main por­tait avec elle s’est fait geste ordonné, voué à mettre fin et ordre à la forme de mes pen­sées les plus intimes. » (19 juillet 2015). Et l’artiste ne cesse jamais de tra­vailler car le par­cours « du des­sin est tout entier dans l’inconnu de l’attente, jusqu’au moment où quelque chose appa­raît entre les traces de la gomme. La gomme, torche du mineur pour faire le jour sur la genèse de la forme ». Et l’artiste de rap­pe­ler que dans tout des­sin il faut deux lignes qui se dif­fé­ren­cient en ce sens de la vie : « seule la souf­france est faite d’une ligne unique, celle qui s’exprime dans notre solitude ».

Mais l’auteur sait aussi s’extasier des petites choses de la vie dont « la vue sur l’eau dou­ce­ment ridée par cette brise qui la pousse vers l’embouchure du Tes­sin, et de là, vers le Pô et la mer ». Les pen­sées épousent ce mou­ve­ment, dérivent jusque vers l’Adriatique, les éten­dues de sable « que ma mère aimait tant et qui tuèrent mon père, convaincu qu’il était, au-delà de toute rai­son, des ver­tus thé­ra­peu­tiques du soleil, atteint de ce can­cer de la peau auquel il ne vou­lut jamais croire ». Très vite à nou­veau, l’artiste revient au tra­vail, par exemple « au por­trait de Nietzsche auquel je tra­vaille depuis plu­sieurs jours [et qui] ne sera pas achevé avant mon bref voyage près de Lau­sanne, sur le lac Léman – mon troi­sième lac, si je les classe par ordre d’importance, après le lac Majeur et celui d’Orta. »
Adami retrace ainsi les recoins où la vie l’a mené et où il a mené sa vie. A l’ombre de pré­sence capi­tale : Rilke par exemple ou O. Koko­schka, « la figure d’artiste qui a le plus compté dans la for­ma­tion de mon esprit de peintre depuis l’époque de l’École des Beaux-Arts ». Tout est de l’ordre ici de la quin­tes­sence au moment où l’artiste ne cesse de répé­ter (ce qu’il sou­ligne lui-même). « Je suis vieux, je suis vieux ». Phy­si­que­ment sans doute, men­ta­le­ment non. Pour preuve ce qu’il dit de Miro à la même époque de sa vie : « je repense main­te­nant à la douce vieillesse de Mirò (…) tout deve­nait vérité pure et simple à tra­vers ses mots, et je me sou­viens com­bien je vis alors en lui l’exemple de l’artiste que j’aurais voulu être ». Adami n’en est pas loin.

jean-paul gavard-perret

Vale­rio Adami, Les Impromp­tus du matin — Auto­por­trait, Texte éta­bli par Ame­lia Val­to­lina, et tra­duit de l’italien par Mar­tin Rueff, édi­tions Gali­lée,  2018, Paris.

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