Dominique Robin ( photo Thierry Olivier ) est un insatiable rêveur. Dans La maison oubliée l’artiste a écrit des histoires qui donnent sens par la bande à ses images à travers ses souvenirs :
« Quand j’étais étudiant, il m’est arrivé d’aller à la faculté
en voiture et de revenir en transports en commun.(…)
Dans la nuit, ma 4L bleu roi, seule sur l’immense
parking du campus, me revenait alors en mémoire.
Et je pensais à un détail : mon pantalon de pyjama
en boule sur le siège arrière de la voiture. »
Surgit de telles évocations moins une mélancolie que le moyen de solliciter l’imaginaire et d’habiter au mieux ce que Bachelard nomme « la maison de l’être ». L’espace mental et l’espace réel se superposent en un milieu interlope mais où chaque « pièce » est habitée. Il suffit d’ouvrir bien des portes pour atteindre un labyrinthe optique dans le blanc et le noir qui servent d’appel là où tout semble parfait mais où rien n’est à sa place. L’inverse est vrai aussi.
De Dominique Robin : La maison oubliée, Editions Dasein, Odogno, Suisse.
site de l’auteur : www.dorobin.com
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le temps qui passe.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Une boîte à outils pour ma vie d’artiste.
A quoi avez-vous renoncé ?
Un salaire mensuel.
D’où venez-vous ?
Il y a bien une dizaine de réponses possibles en fonction de la « focale » : d’Europe occidentale, d’un étang au bout d’un chemin, du ventre d’une femme…
Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
L’injonction : « au travail, fainéant ! »
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Oui.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Quelque chose mais quoi ? Deleuze dit qu’un peintre comprend rarement plus d’une réalité picturale dans toute sa carrière. Selon lui, Michel-Ange a compris ce que c’est « qu’un large dos d’homme » et Cézanne a su appréhender ce que c’est qu’une pomme (1). Peut-être un jour, on trouvera un mot aussi simple également pour moi. En tout cas, cette chose dont parle Deleuze n’a rien à voir avec cette sempiternelle question de commissaire : « sur quoi travailles-tu ? » Si je travaille sur quelque chose, je dirais que je travaille sur la table en aggloméré de mon atelier ou bien sur le chemin des montagnes où je ramasse des pierres comme en ce moment pour ma dernière série. (voir Stone puzzles)
(1 : « Si vous êtes peintre et que en cinquante ans vous avez compris une pomme dans sa réalité picturale, ben vous vous dites, c’est formidable ce que j’ai fait là, » (G. Deleuze, Cours sur la peinture, 7 avril 1981).
Comment définiriez-vous votre approche de la photographie ?
C’est une approche contrastée entre lyrisme et méfiance. Au premier abord, je dirais que c’est un medium pour ainsi dire parfait : quoi de plus fascinant qu’un dessin opéré directement par la lumière du soleil ? C’est cette étroite relation entre lumière, couleur, nature et photo qui m’a fait travailler par exemple sur le projet Oil. Dans un second temps, je considère que la photographie oscille entre un regard un peu fainéant mais prédateur sur le monde — voire carrément colonial ! — et un voyeurisme plus ou moins assumé. Photographier consiste essentiellement à voir le monde par un petit trou — ce qu’il y a dans la chambre bien sûr — et à mitrailler, à faire des shoots.
À cet égard, on peut regretter que la stéréoscopie, pratiquée dès les premières années (voir à ce sujet mon installation Laps), n’ait pas eu une plus grande postérité : la duo-focalité entend un regard pluriel tandis que le « viseur-trou de serrure » implique un seul angle, un seul point de vue – celui de l’opérateur bien sûr qui est forcément du côté du possesseur, de celui qui a le matériel plutôt même que le savoir ou la compétence. Le photographe est donc un chasseur outillé et un voyeur. Ces travers-là sont dans le « disque dur » de l’appareil photo, on ne peut rien y faire. J’y ai particulièrement pensé quand j’ai photographié au Rwanda ou en Guinée (voir Étudiants à Conakry).
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpella ?
Les petites étoiles qui entourent les personnages de bandes dessinées quand ils tombent ou se bagarrent ?
Et votre première lecture ?
Un des poèmes saturniens que j’apprenais par cœur à l’école comme “L’heure du berger”.
Quelles musiques écoutez-vous ?
La plupart du temps je préfère le silence mais sinon je dirais Debussy, Chet Baker, Chavela Vargas, Philippe Katerine…
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Les travailleurs de la mer”.
Quel film vous fait pleurer ?
Aucun.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Moi, le plus souvent.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ? Ou téléphoner ?
Pas mal de gens. J’écris assez souvent des lettres que je n’envoie pas parce que je les trouve finalement intéressantes. Ensuite, je me sers de mes phrases des textes de réflexion sur mon travail.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Grenade en Espagne. Je rêve souvent de Grenade et c’est toujours un rêve beau et mystérieux un mélange de la ville que j’ai connu dans les années 90 et de villes imaginaires.
Quels sont les écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Je pourrais donner une liste forcément éparse en donnant le nom d’un poète (André Du Bouchet), d’un philosophe (Gaston Bachelard), d’un poète de l’image (Didi-Huberman), d’un romancier contemporain (Akira Yoshimura mort en 2007). En ce moment, je lis beaucoup sur la science notamment sur le bigbang et la création des étoiles (Trinh Xuan Thuan).
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un diamant d’un kilo au moins.
Que défendez-vous ?
Le temps plutôt que l’espace.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Justement et s’il allait se faire foutre ?
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Je ne sais pas, je m’interroge.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Quels sont les ingrédients nécessaires à la fabrication des crayons ?
entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 17 janvier 2018.