Omnibus réédite l’ouvrage paru en 1905, tiré à l’époque en cinq cents exemplaires. Si La Guerre des Mondes a été publiée en feuilleton dans le Magazine Pearson entre avril et novembre 1897, puis en volume en 1898, elle n’était pas richement illustrée. H.G. Wells n’était pas satisfait des quelques dessins accompagnant son roman. Alvim Corrêa, subjugué par le livre, passera deux ans à peaufiner, avec la bénédiction du romancier, 32 planches hors-texte pleine page et 100 dessins au trait in texte.
La présente édition, qui reprend l’intégralité des dessins, est préfacée par Philippe Druillet, un maître de l’illustration fantastique. Deux postfaces érudites complètent le travail de l’éditeur. Philippe Mellot brosse une étude documentée sur les illustrateurs français et belges, de Lanos à Jacobs, qui ont travaillé sur l’œuvre. Jean-Marie Embs propose une réflexion sur les représentations de Mars et des Martiens.
La Guerre des mondes débute quand le narrateur rappelle la situation existante, il y a six ans, avant que le cataclysme ne s’abatte sur l’Angleterre. Celui-ci a commencé, lors de l’opposition de 1894 avec la planète Mars, par une explosion de gaz incandescents. La nouvelle interpelle Ogilvy, un astronome ami du narrateur, qui l’invite à observer, la nuit suivante, la planète Mars. Ils sont témoins d’une nouvelle explosion.
Quelques jours plus tard, les rares personnes qui voient, dans le petit matin, une ligne de flammes pensent à une étoile filante ou un météorite. Ogilvy, qui a également observé le phénomène, pense que l’objet responsable de ce sillage est tombé dans la lande. Il découvre un énorme cylindre, voit le sommet qui se dévisse, fait le lien avec l’explosion martienne et pense qu’il y a des êtres à sauver. La chaleur intense l’empêche d’approcher. Il part à la recherche de secours, rencontre un journaliste de Londres et la nouvelle se répand. Les curieux affluent et les Martiens s’organisent pour… conquérir la Terre.
Le récit passe par un seul narrateur qui rapporte ce qu’il a vécu et les témoignages recueillis, en particulier celui de son frère cadet qui vivait à Londres. Le lecteur découvre ainsi la description des Martiens, la mise en place et l’usage des matériels et des outils comme ces tripodes mécaniques de trente mètres de haut sur lesquels ils se déplacent à pas de géant… Mais la curiosité fait place à l’inquiétude quand, de ces tripodes, jaillit un Rayon Ardent qui brûle tout. Le public compte sur l’armée et ses moyens de destruction …jusqu’à la déroute face à une technologie bien supérieure. Puis, ce sont des nuages de fumée noire et empoisonnée, une plante rouge invasive, l’enlèvement des humains pour se nourrir de leur sang.
C’est alors la relation de la chute de Londres dans le chaos, l’exode des six millions de civils qui peuplent la capitale et sa banlieue, les scènes d’émeutes, de pillages et de meurtres…
Certes, aujourd’hui, ce récit semble bien dépassé, voire désuet, compte tenu des avancées scientifiques et des explorations menées sur la Planète Rouge. Cependant, il est très avant-gardiste. Il est l’un de ceux qui fondent la science-fiction et il est si riche en renseignements divers et variés. Il permet de mesurer l’évolution colossale des connaissances en 120 ans. Les hypothèses des canaux de Mars, de la possibilité d’une vie ne sont pas si anciennes.
Il donne l’état d’esprit des Anglais à la charnière du XXe siècle. L’empire britannique est à l’apogée de sa puissance, à la fin du XIXe siècle. Il règne en maître sur les mers et sur une large partie des terres. Mais H.G. Wells montre la fragilité des civilisations. Le roman met en scène, avec le besoin de trouver une nouvelle planète pour vivre, les théories darwiniennes de lutte pour l’espace vital.
Wells professait des idées sociales et dans ce roman, sous forme de métaphores, elles fleurissent. Lorsque les Martiens aspirent le sang des humains pour s’en nourrir, les conquêtes des nouveaux territoires avec des fusils, des canons, face aux flèches ou lances des autochtones. Le romancier brocarde joyeusement les gens d’église avec ce vicaire dépassé par les événements, les bureaucrates, les révolutionnaires de tous crins…
Relire cette œuvre emblématique d’un genre littéraire est un grand plaisir d’autant que les illustrations font merveille. Cette édition les remet en valeur car il faut se souvenir que les ateliers d’Alvim Corrêa, à Bruxelles, furent pillés pendant La Grande Guerre et que les originaux restants ont disparu dans un naufrage en 1942.
serge perraud
H.G. Wells, La Guerre des mondes (The War of the Worlds), illustration d’Alvim Corrêa, traduction de Henry D. Davray, Omnibus, octobre 2017, 256 p. au format 26 x 31 cm — 49,00 €.