Dérapages programmés d’une littérature expérimentale et poétique
Il ne faut pas compter découvrir dans les nouvelles de Clarice Lispector des explications psychologisantes ou autres. L’auteur développe et concentre un espace textuel afin de créer non seulement une trace, un parcours mais une adhérence à ce qui est devenu point de vie, point de mort. Reste la pénétration en une sorte de vide entre le cerveau et le crâne. L’espace littéraire le remplit d’une poudre d’encre. Ecrire revient à proposer des relevés et blessures en un processus de dissociation, d’ouverture des êtres. Ils resteront cependant tels qu’ils sont : des inconnus.
Tout reste à l’état de désoeuvrement, d’attente vaine de femmes qui tentent de sortir d’un tel contexte là où se propage une suite d’actions énigmatiques, où une pensée expire avant qu’une autre renaisse. L’ensemble demeure sans aucun fléchage là où le réel se double de visions hallucinatoires propres à l’imaginaire de la créatrice brésilienne qui ont largement contribué à sa reconnaissance dans le domaine francophone des Editions des Femmes.
Chez Clarice Lispector, il est nécessaire de toujours renoncer à suivre le fil d’un récit : il se perd dans des non lieux où s’anime une animalité profuse. Le malaise du monde apparaît au fil des nouvelles là où les corps demeurent insatisfaits. Finalement, ils se résignent à un tel état là où l’auteure cultive les incertitudes et les doutes mais aussi quelques interstices dans les dérapages programmés d’une littérature expérimentale et poétique.
jean-paul gavard-perret
Clarice Lispector, Nouvelles, nombreux traducteurs, édition de Benjamin Moser, Editions des Femmes, Paris, 2018, 474 p. — 23,00 €.