Régis Jauffret est un écrivain généreux voire dispendieux. Après ses 500 premières microfictions, et dix ans plus tard, il double la donne. Il existe donc là 1000 possibilités de romans qui doivent – cas exceptionnel – plus à l’imaginaire qu’au fait divers ou à l’autofiction. Mais plutôt qu’étoffer, l’auteur préfère la brièveté. On ne peut même pas parler de nouvelles. Tout au plus de contes où défilent « Toutes les vies à la fois » comme l’écrit l’auteur sur le site Gallimard. L’auteur les fait l entrer “dans une goutte d’eau, la goutte d’eau étant cet espace très limité d’une page et demie”. Ce morcellement reste néanmoins induit dans un projet global où les 500 histoires forme « un objet appelé roman, rempli de fictions, rempli de personnages. Et ce livre est rempli de personnages jusqu’à la gueule ».
Partant d’une « chose vue » comme disait Hugo, dans la rue ou ailleurs, Jauffret démarre, imagine une vie en devenant acteur dans la peau de celui ou celle qu’il a choisi de monter en épingle. Et l’auteur d’ajouter qu’il a l’impression « d’entrer sur scène sans savoir si j’étais jeune ou vieux, si j’étais une femme, un homme, un enfant ».
L’imaginaire ne cesse de battre la campagne, d’autant que l’auteur ne se refuse rien. Il enfile au besoin les costumes les plus monstrueux (n’est-ce pas d’ailleurs ceux qu’il préfère ?). Chaque fois l’histoire reste une surprise car l’auteur est incapable de se répéter. Une « grâce » semble le toucher afin d’inventer une nouvelle situation, un personnage inédit. L’auteur crée un nouveau genre romanesque. Celui où la multiplication fait le jeu d’une totalité : « Je pense aussi que chaque histoire prise individuellement n’est pas un cinq centième du livre, de même qu’une foule est plus que la totalité des individus qui la composent. C’est pour moi la définition du roman : à la base, la fiction » précise l’auteur. L’apparente diffraction génère donc une forme comme auparavant un Perec en avait inventé.
L’écrivain devient l’auxiliaire de ses personnages en ce jeu de construction qui n’est en rien un recueil mais un bloc. L’emboîtage ne se recoupe pas, ce qui ne veut pas dire qu’entre les histoires il y ait du « jeu ». Tout fonctionne parfaitement selon une organisation qui se transforme sans cesse tout en restant un seul roman non dénué — bien au contraire — d’humour et de poésie. Ce qui est loin d’être négligeable. Tant s’en faut.
jean-paul gavard-perret
Régis Jauffret, Microfictions 2018, Gallimard, collection Blanche, Paris, 2018, 1024 p.