Régis Jauffret, Microfictions 2018

L’un et le multiple

Régis Jauf­fret est un écri­vain géné­reux voire dis­pen­dieux. Après ses 500 pre­mières micro­fic­tions, et dix ans plus tard, il double la donne. Il existe donc là 1000 pos­si­bi­li­tés de romans qui doivent – cas excep­tion­nel – plus à l’imaginaire qu’au fait divers ou à l’autofiction. Mais plu­tôt qu’étoffer, l’auteur pré­fère la briè­veté. On ne peut même pas par­ler de nou­velles. Tout au plus de contes où défilent « Toutes les vies à la fois » comme l’écrit l’auteur sur le site Gal­li­mard. L’auteur les fait l entrer  “dans une goutte d’eau, la goutte d’eau étant cet espace très limité d’une page et demie”. Ce mor­cel­le­ment reste néan­moins induit dans un pro­jet glo­bal où les 500 his­toires forme « un objet appelé roman, rem­pli de fic­tions, rem­pli de per­son­nages. Et ce livre est rem­pli de per­son­nages jusqu’à la gueule ».
Par­tant d’une « chose vue » comme disait Hugo, dans la rue ou ailleurs, Jauf­fret démarre, ima­gine une vie en deve­nant acteur dans la peau de celui ou celle qu’il a choisi de mon­ter en épingle. Et l’auteur d’ajouter qu’il a l’impression « d’entrer sur scène sans savoir si j’étais jeune ou vieux, si j’étais une femme, un homme, un enfant ».

L’ima­gi­naire ne cesse de battre la cam­pagne, d’autant que l’auteur ne se refuse rien. Il enfile au besoin les cos­tumes les plus mons­trueux (n’est-ce pas d’ailleurs ceux qu’il pré­fère ?). Chaque fois l’histoire reste une sur­prise car l’auteur est inca­pable de se répé­ter. Une « grâce » semble le tou­cher afin d’inventer une nou­velle situa­tion, un per­son­nage inédit. L’auteur crée un nou­veau genre roma­nesque. Celui où la mul­ti­pli­ca­tion fait le jeu d’une tota­lité :  « Je pense aussi que chaque his­toire prise indi­vi­duel­le­ment n’est pas un cinq cen­tième du livre, de même qu’une foule est plus que la tota­lité des indi­vi­dus qui la com­posent. C’est pour moi la défi­ni­tion du roman : à la base, la fic­tion » pré­cise l’auteur. L’apparente dif­frac­tion génère donc une forme comme aupa­ra­vant un Perec en avait inventé.
L’écrivain devient l’auxiliaire de ses per­son­nages en ce jeu de construc­tion qui n’est en rien un recueil mais un bloc. L’emboîtage ne se recoupe pas, ce qui ne veut pas dire qu’entre les his­toires il y ait du « jeu ». Tout fonc­tionne par­fai­te­ment selon une orga­ni­sa­tion qui se trans­forme sans cesse tout en res­tant un seul roman non dénué — bien au contraire — d’humour et de poé­sie. Ce qui est loin d’être négli­geable. Tant s’en faut.

jean-paul gavard-perret

Régis Jauf­fret,  Micro­fic­tions 2018,  Gal­li­mard, collec­tion Blanche, Paris, 2018, 1024 p.

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