Pierre Parlant écrivain (auteur de l’excellent “Ma durée Pontormo” et fondateur de l’ex-revue Hiems) vient de publier une collection de livres de petit format.Le sujet de chaque livre est la description d’une œuvre d’art par l’écriture. Dans le sien, Xavier Girard a retenu un jouet. Enfin presque, puisque cet objet sur le bureau du père ne peut être touché par les enfants.
C’est une torture tant le jouet est devenu tabou. D’autant que le géniteur est tout sauf paternel. Peu doué pour l’affect, il ne s’approche pas plus de ses enfants que ceux-ci de ce l’objet quasi totémique venu nul ne sait d’où. La mère n’est pas plus douée pour les sentiments. L’objectif pour les deux procréateurs est de laisser le chaos en place. Quant au narrateur, sa photo n’est même pas à côté de celle de ses frères. Il est objet d’opprobre surtout depuis que sa mère l’a surpris en train de lire le Journal de Gide.
Bref, tout reste irrémédiablement scellé. Du moins jusqu’à la mort du père. Le narrateur lors du partage voit l’éléphant lui revenir. C’est pour le narrateur une bénédiction : « Je l’aimais parce qu’il était agonisant, abandonné (…) Il m’était cher parce qu’il était perdu » écrit-il. De l’éléphant on ne saura guère plus, d’autant que la famille ignore tout de cet éléphant à l’oreille cassée. Mais cet objet devient soudain un miroir du narrateur. Les deux ne sont pas mécontents « de quitter le bureau » et l’animal devient aussi « sans famille » que, jeune, son nouveau propriétaire le fut dans un tel foyer.
C’est en le quittant que celui-ci l’adopte vraiment et en prend les mesures : 25 cm de longueur, 18 de hauteur. Mais il ne se contente pas de ce qu’on nommera une « antrompe-ométrie ». Il le dessine pour de fait dit le narrateur « lever l’interdit de mon père ». D’autant que dessiner des jouets était la profession de celui-ci…. Le reprendre à son compte en le dessinant permet de remonter vers un passé perdu. L’auteur ouvre « le paradis de l’éléphant aux aventures du crayon. » Peu à peu, par une écriture ironique et directe, s’instruit une histoire beaucoup plus dense qu’il n’y paraît.
Quand le narrateur regarde les yeux de l’éléphant, celui-ci semble le scruter : les deux paraissent plus se réfléchir dans un miroir réciproque que se perdre dans l’infini. Celui qui contemple l’autre voit son propre regard. Pour l’ex-enfant, le jouet devient une sorte d’ange gardien ou de bon génie du corps. C’est aussi une sorte de phantasme hallucinant au sein d’un rêve qui n’est pas plus volontaire que subsidiaire : l’éléphant porte son assistance à la « voluptas » de son nouveau propriétaire.
jean-paul gavard-perret
Xavier Girard, L’éléphant de mon père, collection Ekphrasis, 2017, 28 p. - 5,00 €.