Marin Ledun, Ils ont voulu nous civiliser

Déchaî­ne­ments natu­rels et humains…

Thomas Fer­rer sur­vit, l’hiver, en se livrant à des vols de volailles dans les éle­vages envi­ron­nants et en récu­pé­rant racks de sto­ckages, pré­sen­toirs, échelles à rayon­nages aban­don­nés par les démé­na­geurs de com­merces qui ferment. Pour écou­ler ses rapines, il s’adresse à Bax­ter, un sur­feur éga­le­ment sha­per. Mais quand ce der­nier lui fait une offre de misère après avoir rangé une mon­tagne de billets, Tho­mas voit rouge. La rage accu­mu­lée depuis sa sor­tie de pri­son lui donne le force de frap­per, frap­per jusqu’à lais­ser son adver­saire à terre, mort semble-t-il. S’emparant de la for­tune, il rentre chez lui et se pré­pare à par­tir loin.
Lorsqu’il revient à lui, Bax­ter constate le vol. Mais il ne pos­sède qu’un tiers de l’argent, le reste est aux Frères, Vil­le­neuve et Cor­ral, des psy­cho­pathes. Cette for­tune pro­vient de bra­quages.
Jean-Pierre Pécas­taing, appelé Ale­zan par un de ses cama­rades qui l’a vu cou­rir sur les mon­tagnes de l’Atlas en Algé­rie pen­dant la guerre, a peur, constam­ment peur. Il s’est replié sur lui-même, enfermé dans sa pho­bie des autres. Ce qu’il a fait, sa mai­son, son étang, son tra­vail de fores­tier ce n’est pas pour, mais contre !
La tem­pête annon­cée depuis quelques jours com­mence à secouer le pay­sage.
Fer­rer entend cogner contre sa porte. Ce sont Bax­ter et les Frères. Il fuit, par der­rière, prend sa voi­ture et se lance sur les routes fores­tières. Les trois voyous se mettent à sa pour­suite, ivres de ven­geance.
Ale­zan est prêt. Il attend la tem­pête avec ce qu’elle peut repré­sen­ter de des­truc­tion, de guerre, de libération…

Marin Ledun com­pose son récit en pre­nant, en paral­lèle, la tem­pête qui déferle sur le pays et celle qui bouillonne sous les crânes. La tem­pête de Fer­rer qui voit l’occasion de sor­tir de la misère. Celle des voyous qui veulent cet argent et sont furieux de s’être fait voler. Celle d’Alezan qui se libère enfin de sa peur, de cette peur qui ne le quitte pas depuis presque cin­quante ans, depuis qu’en Algé­rie…
Le roman­cier conçoit son his­toire selon les trois règles du théâtre clas­sique telles que les avaient défi­nies Boi­leau dans son Traité sur L’Art poé­tique, en 1674, à savoir, unité d’action, de temps, de lieu. Le lieu est la ville ima­gi­naire de Begaarts et ses envi­rons, au cœur de la forêt lan­daise, déjà visi­tée dans son pré­cé­dent roman En douce. L’action se déroule en moins de vingt-quatre heures et l’action est une pour­suite au cœur de la tem­pête avec les acci­dents, les ravages dans les pins, le bruit des armes…

Conti­nuant dans la veine du roman noir social, dont il est un des meilleurs repré­sen­tants actuels, Marin Ledun pro­posent des per­son­nages coin­cés dans un sys­tème qui ne leur fait pas de cadeaux. Il les place dans une zone rurale comme il y en a tant dans l’Hexagone où le tou­risme auto­rise une acti­vité sai­son­nière mais où il faut bien exis­ter le reste de l’année. Le tra­vail dis­po­nible est essen­tiel­le­ment syl­vi­cole pour une main-d’œuvre exploi­tée. La ten­ta­tion est grande alors de prendre des che­mins de tra­verse, de fran­chir la fron­tière de la léga­lité, une léga­lité qui n’est pas faite pour eux, eux qui ne pos­sèdent rien. Le roman­cier expose, ne juge pas, laisse à ses lec­teurs le soin de se faire leur propre opi­nion.
Marin Ledun, avec des com­po­santes que l’on peut ren­con­trer faci­le­ment, presque quo­ti­dien­ne­ment, livre un récit superbe met­tant en scène le déchaî­ne­ment des élé­ments natu­rels et des pas­sions humaines.
Ils ont voulu nous civi­li­ser, outre son huma­nisme et son titre à double sens, engage une intrigue pal­pi­tante car le roman­cier ne fait pas dans la dentelle !

serge per­raud

Marin Ledun, Ils ont voulu nous civi­li­ser, Flam­ma­rion, octobre 2017, 240 p. – 19,00 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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