Entre la Vieille Europe et la seule France. Charles Maurras, la politique extérieure et la défense nationale

Une étude scien­ti­fique et nova­trice sur la pen­sée de Charles Maur­ras en poli­tique étrangère

« Maur­ras avait tel­le­ment rai­son qu’il en est devenu fou ». Cette phrase prê­tée au géné­ral de Gaulle suf­fi­rait à elle-même à révé­ler l’impact qu’a eu la pen­sée du chef de l’Action Fran­çaise sur une bonne par­tie de la société de son temps. En 1972, Georges Pom­pi­dou recon­nut qu’il avait « prévu le monde actuel ».

Le livre dirigé par Georges-Henri Sou­tou et Mar­tin Motte, fruit d’une jour­née d’études tenue à l’université Paris-IV Sor­bonne, consa­crée à la pen­sée de Charles Maur­ras sur la poli­tique exté­rieure et les pro­blèmes de défense, vient com­bler un vide his­to­rio­gra­phique. Nom­breuses sont en effet les études consa­crées à la pen­sée poli­tique du chef de l’Action fran­çaise, mais rares sont celles à s’être pen­chées sur les concep­tions maur­ras­siennes en matière de poli­tique étran­gère. Maur­ras a pour­tant tra­versé tout le pre­mier XX° siècle, depuis la Belle Epoque jusqu’à la Guerre froide (il meurt une année avant Sta­line !) et les débuts de la construc­tions euro­péenne, via les deux guerres mondiales.

Les contri­bu­tions sont ras­sem­blées par thème : après une ana­lyse géné­rale de la pen­sée maur­ras­siennes, on passe à des études de cas (Alle­magne, Rus­sie, Ita­lie, Royaume-Uni), puis aux ques­tions de défense et enfin aux dis­ciples et conti­nua­teurs de Maur­ras. Son ouvrage, Kiel et Tan­ger, sert d’axe struc­tu­rant à l’ensemble du livre puisque Maur­ras y a ras­sem­blé ses ana­lyses de poli­tique étran­gère, constam­ment appro­fon­dies lors des dif­fé­rentes réédi­tions. Comme l’écrit Mar­tin Motte, Kiel et Tan­ger vise à « démon­trer la res­pon­sa­bi­lité de la Répu­blique par­le­men­taire dans les échecs essuyés par la diplo­ma­tie fran­çaise et éta­blir la néces­sité d’une res­tau­ra­tion monar­chique. » A par­tir de là, Maur­ras construit toute une pen­sée dont les échos se font sen­tir pen­dant un demi-siècle.

Maur­ras, à la fois euro­péen et natio­na­liste n’est certes pas facile à com­prendre pour les esprits de notre temps. Et c’est tout le mérite de cette étude uni­ver­si­taire de le rendre intel­li­gible. Les contri­bu­tions dressent le por­trait d’un homme com­plexe, animé d’une hos­ti­lité farouche vis-à-vis de l’Allemagne, mais qui com­prend dès 1923 les dan­gers de l’hitlérisme et du racisme national-socialiste, tout en se mépre­nant com­plè­te­ment sur le fas­cisme de Mus­so­lini. Cet homme, méfiant à l’égard des alliances, ima­gine dans un pre­mier temps une France pre­nant la tête des puis­sances moyennes pour mieux résis­ter aux empires, avant de se ral­lier aux concepts de l’équilibre euro­péen, avant d’exalter la France seule et une sorte d’égoïsme natio­nal, pour mieux résis­ter à l’Europe alle­mande des nazis.

Les recherches ici pré­sen­tées confirment que Charles Maur­ras appar­te­nait non seule­ment aux cercles des grands pen­seurs de son époque, mais sur­tout à celui des intel­lec­tuels influents. Georges-Henri Sou­tou écrit avec rai­son qu’il « se situait plei­ne­ment dans les débats de l’époque et ne vivait pas sur une pla­nète à part. » L’esprit cri­tique des auteurs s’exerce constam­ment sur les ana­lyses maur­ras­siennes, évi­tant ainsi à l’ouvrage la marque hagio­gra­phique. Rien n’est mis de côté des contra­dic­tions, des conclu­sions par­fois aber­rantes, des insuf­fi­sances de Maur­ras, mais aussi des qua­li­tés de sa pen­sée et de ses per­ti­nences, lui dont l’influence se fait sen­tir, dans une cer­taine mesure, chez de Gaulle et chez Pompidou.

Que démontre en fin de compte cette étude ? Que la pen­sée de Maur­ras, mal­gré ses erreurs et ses outrances, a bien saisi de nom­breux pro­blèmes de son temps et qu’elle a exercé une influence cer­taine et indis­cu­table sur les pen­seurs et les déci­deurs fran­çais du XX° siècle.

f. le moal

   
 

Entre la Vieille Europe et la seule France. Charles Maur­ras, la poli­tique exté­rieure et la défense natio­nale, sous la direc­tion de Georges-Henri Sou­tou et Mar­tin Motte, Eco­no­mica, 2009, 432 p. — 39,00 euros

 
     
 

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