Michel Bussi, On la trouvait plutôt jolie

Un roman d’exception 

L’auteur aborde, dans ce livre, son onzième roman, un sujet d’une actua­lité quo­ti­dienne, celui rela­tif aux migrants, à ces réfu­giés qui deviennent des sans-papiers, de ces invi­sibles qui tentent de sur­vivre dans des contrées qu’on leur a décrit comme un pays de cocagne. Il rap­pelle l’origine du pas­se­port, une ori­gine rela­ti­ve­ment récente, les chiffres de l’immigration et leur impor­tance rela­tive par rap­port à la popu­la­tion.
De bonne heure, Leyli Maal s’est mise en route pour négo­cier un nou­vel appar­te­ment, d’au moins cin­quante mètres car­rés, car elle a trouvé un tra­vail en CDI. Presque au même moment, dans la chambre Shé­hé­ra­zade du Red Cor­ner, Bamby bande les yeux de Fran­çois pour pimen­ter des jeux amou­reux. Quelques heures plus tard, le com­man­dant Petar Velika et le lieu­te­nant Julo Flores sont sur les lieux devant un corps exsangue. Un étrange détail, les inter­pelle. On lui a fait une prise de sang avant de l’assassiner. Le mort, vite iden­ti­fié, pilo­tait le ser­vice finan­cier de Vogel­zug, une asso­cia­tion d’aide aux réfu­giés. Quand il apprend cela, le com­man­dant s’inquiète car il sait que les emmer­de­ments ne font que com­men­cer. Près du cadavre les poli­ciers trouvent six coquillages et un bra­ce­let rouge déchiré.
Bamby, la fille de Leyli, a une amie étu­diante comme elle qui habite l’étage du des­sous. Elle se plaint du volume sonore de la musique qui l’empêche de tra­vailler sur ses cours. Juste en face de son loge­ment, un homme déclare que la musique ne le gêne pas et s’introduit timi­de­ment dans la vie de Leyli. Elle lui raconte une par­tie de sa vie, se gar­dant de dévoi­ler cer­tains pans comme son tré­sor, son secret… La vidéo de l’hôtel a filmé l’arrivé du couple. La femme, qui porte un fou­lard avec des motifs de chouettes, fixe l’objectif avec défi tout en gar­dant une large par­tie de son visage dans l’ombre. Julo Flo­rès, avec le zèle de la jeu­nesse traque sur tous les réseaux ce visage entrevu. Il ne peut croire que cette jeune femme soit une criminelle…

Avec Leyli, le roman­cier fait racon­ter le périple pour arri­ver à Mar­seille, les dan­gers et les pièges sans nombre, les contraintes à subir, les hor­reurs à vivre. Elle a trois enfants, une belle col­lec­tion de chouettes et un secret. Elle prend garde, dans son F1, de ne pas tra­hir celui-ci. Si, dans cha­cun de ses romans, Michel Bussi tisse une intrigue où l’humanisme est tou­jours pré­sent, avec On la trou­vait plu­tôt jolie, il donne avec ce sujet dou­lou­reux un ton plus grave, plus ancré dans l’actualité, plus engagé. Il place, dans la bouche de ses per­son­nages quelques véri­tés, pointe des dys­fonc­tion­ne­ments, des inco­hé­rences admi­nis­tra­tives du droit fran­çais : “Les pauvres doivent avoir la chance de vivre dans un pays en guerre pour pou­voir res­ter chez nous. [… ] Et ne me deman­dez pas pour­quoi on a le devoir d’accueillir un gars qui crève de peur chez lui et pas un gars qui crève de faim.” Il décrit ces “rubans de Moe­bius” tis­sés avec une accu­mu­la­tion de textes qui finissent par se contre­dire, ce qui fait, d’ailleurs, le bon­heur de quelques avo­cats retors devant les tribunaux.

M. Bussi  pointe les fausses émo­tions “people” : “L’expérience lui avait appris que les cadavres bien frais sont l’ingrédient prin­ci­pal de la recette de la com­pas­sion huma­ni­taire.” Il dénonce le pro­fit de l’immigration et les mar­chés juteux qu’elle repré­sente, entraî­nant un lec­teur sub­ju­gué dans les arcanes de son his­toire, lui fai­sant ren­con­trer, côtoyer une gale­rie de per­son­nages dif­fi­ci­le­ment oubliable, dans un sens comme dans l’autre. En quatre jours et trois nuits, du désert sahé­lien à la jungle urbaine de Mar­seille, du Maroc à Port-de-Bouc, le roman­cier dépayse en offrant une vision nova­trice par un regard aigu sur les socié­tés qui se par­tagent ces espaces.
Son récit pro­pose un caden­ce­ment rapide, au rythme hyp­no­tique où les minutes s’égrènent dans un compte à rebours démo­niaque éclai­rant peu à peu tous les élé­ments de l’histoire, tout ce que ce lec­teur avait lu, com­pris, assi­milé aussi mais sans faire le lien, un lien entre un passé bles­sant et un pré­sent tout aussi dou­lou­reux, sauf que les por­teurs de la vin­dicte, de la peur, de la colère sont ceux d’une nou­velle génération.

Peu de roman­ciers pos­sèdent ce talent de faire vibrer une his­toire vers une conclu­sion aussi inat­ten­due, voire déran­geante. Merci M. Bussi pour ces heures superbes à suivre les ava­tars de vos personnages.

serge per­raud

Michel Bussi, On la trou­vait plu­tôt jolie, Presses de la Cité, octobre 2017, 464 p. – 21,90 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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