L’auteur aborde, dans ce livre, son onzième roman, un sujet d’une actualité quotidienne, celui relatif aux migrants, à ces réfugiés qui deviennent des sans-papiers, de ces invisibles qui tentent de survivre dans des contrées qu’on leur a décrit comme un pays de cocagne. Il rappelle l’origine du passeport, une origine relativement récente, les chiffres de l’immigration et leur importance relative par rapport à la population.
De bonne heure, Leyli Maal s’est mise en route pour négocier un nouvel appartement, d’au moins cinquante mètres carrés, car elle a trouvé un travail en CDI. Presque au même moment, dans la chambre Shéhérazade du Red Corner, Bamby bande les yeux de François pour pimenter des jeux amoureux. Quelques heures plus tard, le commandant Petar Velika et le lieutenant Julo Flores sont sur les lieux devant un corps exsangue. Un étrange détail, les interpelle. On lui a fait une prise de sang avant de l’assassiner. Le mort, vite identifié, pilotait le service financier de Vogelzug, une association d’aide aux réfugiés. Quand il apprend cela, le commandant s’inquiète car il sait que les emmerdements ne font que commencer. Près du cadavre les policiers trouvent six coquillages et un bracelet rouge déchiré.
Bamby, la fille de Leyli, a une amie étudiante comme elle qui habite l’étage du dessous. Elle se plaint du volume sonore de la musique qui l’empêche de travailler sur ses cours. Juste en face de son logement, un homme déclare que la musique ne le gêne pas et s’introduit timidement dans la vie de Leyli. Elle lui raconte une partie de sa vie, se gardant de dévoiler certains pans comme son trésor, son secret… La vidéo de l’hôtel a filmé l’arrivé du couple. La femme, qui porte un foulard avec des motifs de chouettes, fixe l’objectif avec défi tout en gardant une large partie de son visage dans l’ombre. Julo Florès, avec le zèle de la jeunesse traque sur tous les réseaux ce visage entrevu. Il ne peut croire que cette jeune femme soit une criminelle…
Avec Leyli, le romancier fait raconter le périple pour arriver à Marseille, les dangers et les pièges sans nombre, les contraintes à subir, les horreurs à vivre. Elle a trois enfants, une belle collection de chouettes et un secret. Elle prend garde, dans son F1, de ne pas trahir celui-ci. Si, dans chacun de ses romans, Michel Bussi tisse une intrigue où l’humanisme est toujours présent, avec On la trouvait plutôt jolie, il donne avec ce sujet douloureux un ton plus grave, plus ancré dans l’actualité, plus engagé. Il place, dans la bouche de ses personnages quelques vérités, pointe des dysfonctionnements, des incohérences administratives du droit français : “Les pauvres doivent avoir la chance de vivre dans un pays en guerre pour pouvoir rester chez nous. [… ] Et ne me demandez pas pourquoi on a le devoir d’accueillir un gars qui crève de peur chez lui et pas un gars qui crève de faim.” Il décrit ces “rubans de Moebius” tissés avec une accumulation de textes qui finissent par se contredire, ce qui fait, d’ailleurs, le bonheur de quelques avocats retors devant les tribunaux.
M. Bussi pointe les fausses émotions “people” : “L’expérience lui avait appris que les cadavres bien frais sont l’ingrédient principal de la recette de la compassion humanitaire.” Il dénonce le profit de l’immigration et les marchés juteux qu’elle représente, entraînant un lecteur subjugué dans les arcanes de son histoire, lui faisant rencontrer, côtoyer une galerie de personnages difficilement oubliable, dans un sens comme dans l’autre. En quatre jours et trois nuits, du désert sahélien à la jungle urbaine de Marseille, du Maroc à Port-de-Bouc, le romancier dépayse en offrant une vision novatrice par un regard aigu sur les sociétés qui se partagent ces espaces.
Son récit propose un cadencement rapide, au rythme hypnotique où les minutes s’égrènent dans un compte à rebours démoniaque éclairant peu à peu tous les éléments de l’histoire, tout ce que ce lecteur avait lu, compris, assimilé aussi mais sans faire le lien, un lien entre un passé blessant et un présent tout aussi douloureux, sauf que les porteurs de la vindicte, de la peur, de la colère sont ceux d’une nouvelle génération.
Peu de romanciers possèdent ce talent de faire vibrer une histoire vers une conclusion aussi inattendue, voire dérangeante. Merci M. Bussi pour ces heures superbes à suivre les avatars de vos personnages.
serge perraud
Michel Bussi, On la trouvait plutôt jolie, Presses de la Cité, octobre 2017, 464 p. – 21,90 €.