Enfin une biographie en français du dauphin d’Hitler
Les lecteurs qui apprécient les livres de François Kersaudy ne seront pas déçus par la monumentale biographie qu’il consacre à Herman Goering. Ils y retrouveront la finesse des analyses, la grande érudition, l’ampleur et la variété des sources, le style agréable qui ont fait la qualité des ouvrages précédents.
Ce livre comble un vide historiographique puisqu’il n’existait pas jusqu’à aujourd’hui de biographie du deuxième personnage de l’Allemagne nazie, longtemps dauphin d’Hitler, flamboyant et incompétent chef de la Luftwaffe. Tracer un portrait de Goering relève du défi, tant cet homme cumule les contradictions, bien mises en lumière par l’auteur. La lecture des 800 pages du livre nous oblige à rester pendant longtemps en compagnie de ce personnage qui n’a rien de plaisant. En effet, il participe au putsch de la brasserie de 1923, à l’épuration violente des SA en juillet 1934, à la mise à mort de la République de Weimar, à la création de la Gestapo, et il s’indigne de la nuit de Cristal uniquement pour des raisons de gâchis économique ! En 1945, à Nuremberg, il assume l’héritage hitlérien tout en niant sa propre responsabilité.
Il n’en reste pas moins que Goering déroute par ses côtés chevaleresques, par son aide en faveur de certains juifs, pour son implication dans la défense de la paix en 1939. A cet égard, le livre apporte des éclairages très intéressants sur le rôle de Goering en politique étrangère, notamment à trois reprises : lors de l’Anschluss, puis au moment de la conférence de Munich, et enfin lors de la crise de l’été 1939 qui conduit à la guerre. Les détails apportés par Kersaudy, à l’aide d’une étude minutieuse des sources, permettent de saisir les ressorts de l’action de Goering pour retarder, et au moins limiter, l’éclatement du conflit européen.
Sa servilité à l’égard d’Hitler est une constante du personnage. Kersaudy multiplie les descriptions d’un Goering opposé aux conceptions du Führer mais incapable de lui imposer les siennes et de heurter de front un chef pour lequel il éprouve une admiration sans borne. Le magnétisme d’Hitler s’exerce sur l’ancien héros de la Grande Guerre, avec toute sa puissance dissolvante.
Le livre trace avec finesse le portrait d’un homme non dénué de jugements pertinents mais enfermé dans son idéologie et son idolâtrie, un incompétent notoire qui cumule les fonctions, un héros de guerre qui collectionne les décorations comme un enfant des jouets (un véritable « arbre de noël » pour reprendre le mot de Goebbels), un drogué qui se couvre de ridicule par ses uniformes grotesques, ses maquillages, ses goûts de parvenus et ses pillages. Finalement un homme qui, comme Hitler, refuse la réalité, et la piétine pour la faire plier à sa volonté. Ainsi déchire-t-il avec rage un rapport indiquant que l’armée de l’air soviétique s’élève à 14000 avions, en hurlant : « Le chiffre est maintenant de 7000 avions. » ! De plus, Goering est bien replacé dans le cadre des rivalités caractéristiques du régime nazi, et entretenues par Hitler.
Kersaudy ne se contente pas d’un récit biographique. Son étude est l’occasion de revenir en détail sur les grands évènements politiques et militaires qui jalonnent l’histoire de l’Allemagne depuis 1918. On pourrait le lui reprocher, notamment quand il s’agit de batailles dans lesquelles Goering n’est pas directement impliqué. Toutefois, ce parti-pris permet au lecteur de comprendre la gigantesque mécanique du conflit mondial, qui broie l’Allemagne nazie, et de replacer constamment les entreprises, souvent délirantes, du Reichsmarschall dans le contexte historique qui fut le sien.
f. le moal
François Kersaudy, Herman Goering, Paris, Perrin, octobre 2009, 800 p. — 27,00 € |
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