Justice est rendue à l’action des services de renseignement de la France libre
Le lycée militaire de Saint-Cyr l’Ecole est décidément un vivier de talents : après Frédéric Le Moal, qui dirige les pages essais de notre site, lelitteraire.com accueille avec plaisir parmi ses contributeurs son collègue Didier Graz, émérite professeur d’histoire aux moustaches aussi légendaires que ses saillies.
Issu d’une thèse de doctorat d’histoire le livre de Sébastien Albertelli présente les défauts de ses qualités. L’auteur a accompli un travail très approfondi, exploité une quantités d’archives considérable. La naissance du BCRA, son organisation, ses actions, ses rapports avec les services anglais et américains sont parfaitement mis à jour. Le plan chronologique de l’ouvrage permet de bien prendre en compte, non seulement l’évolution du BCRA mais aussi de l’ensemble de la France libre devenue en 1942 France combattante.
En revanche, le lecteur non initié peut parfois se perdre dans l’accumulation des évènements recensés, des sigles et des multiples luttes d’influence détaillés par l’auteur. Alors que ce dernier raconte par le menu les conflits opposant les différents bureaux, il passe très vite sur certains points essentiels. Ainsi une page seulement et assez peu convaincante est-elle consacrée à l’assassinat de Darlan. Sébastien Albertelli écarte très vite la responsabilité des gaullistes dans cet événement et ne propose aucune hypothèse concernant l’élimination de l’Amiral. On peut saluer la sagesse du scientifique. Il n’empêche que l’on peut aussi se sentir frustré d’une tentative d’explication d’un événement fondamental.
Il reste néanmoins que le livre est utile par la masse d’informations qu’il nous donne. Cela, même si les portraits qui sont faits des figures principales de cette grande aventure manquent un peu de chair. De Gaulle apparaît lointain, hautain, jaloux de son autorité, voulant tout contrôler, mais capable de s’adapter aux circonstances et de faire évoluer ses principes initiaux. Ainsi à l’automne 1941 Jean Moulin parvient-il à convaincre le général de l’utilité de l’action militaire clandestine en France alors que ce dernier manifestait jusqu’alors peu d’enthousiasme à cette idée, à laquelle le colonel Passy était pour sa part très attaché.
L’auteur montre par ailleurs que le chef du BCRA n’était pas le froid personnage d’extrême droite que ses adversaires ont voulu voir en lui, pendant comme après la guerre. Il apparaît au contraire à la lecture comme une personnalité très humaine, capable de remise en cause et même d’accès (assez vite surmontés) d’accès de dépression, et totalement dévoué à la cause de la libération de la France qu’il fut l’un des premiers à défendre aux côtés du général à qui il voue une fidélité et une admiration sans failles. Albertelli publie une lettre de février 1943 signée Dewauvrin (le vrai nom de Passy) envoyée par lui à son chef avant un départ en mission. Le document émouvant nous permet de mieux comprendre l’attachement qu’il porte à de Gaulle à qui il recommande ses enfants en cas de malheur : « Je vous serais reconnaissant si vous pouviez de loin veiller à ce qu’ils soient élevés en ‘bons Français’ »
Deux autres figurent ressortent : celle du célèbre Pierre Brossolette, doué et flamboyant, et celle d’un homme beaucoup moins connu, l’adjoint principal de Passy dès 1940 et durant l’ensemble de la guerre, André Manuel (alias Pallas), modèle d’équilibre, de sérieux et de constance. Ce véritable « cocréateur du BCRA » suivant les termes de l’historien mériterait en effet de figurer dans la mémoire collective du peuple français.
En définitive, l’étude de Sébastien Albertelli rend justice, s’il en était besoin, à l’action des services de renseignement de la France libre en montrant l’efficacité de son travail : dès 1940 le BCRA fournit l’essentiel des informations sur l’armée allemande aux Anglais et plus tard en 1944 contribue grandement au succès du débarquement. Et par là même il méritait sans aucun doute l’hommage que constitue aussi ce gros ouvrage.
Didier Graz
Sébastien Albertelli, Les services secrets du général de Gaulle. Le BCRA, 1940–1944, Perrin, septembre 2009, 617 p. — 28,00 € |
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