Sébastien Albertelli, Les services secrets du général de Gaulle. Le BCRA, 1940–1944

Justice est ren­due à l’action des ser­vices de ren­sei­gne­ment de la France libre

Le lycée mili­taire de Saint-Cyr l’Ecole est déci­dé­ment un vivier de talents : après Fré­dé­ric Le Moal, qui dirige les pages essais de notre site, lelitteraire.com accueille avec plai­sir parmi ses contri­bu­teurs son col­lègue Didier Graz, émé­rite pro­fes­seur d’histoire aux mous­taches aussi légen­daires que ses saillies.

 Issu d’une thèse de doc­to­rat d’histoire le livre de Sébas­tien Alber­telli pré­sente les défauts de ses qua­li­tés. L’auteur a accom­pli un tra­vail très appro­fondi, exploité une quan­ti­tés d’archives consi­dé­rable. La nais­sance du BCRA, son orga­ni­sa­tion, ses actions, ses rap­ports avec les ser­vices anglais et amé­ri­cains sont par­fai­te­ment mis à jour. Le plan chro­no­lo­gique de l’ouvrage per­met de bien prendre en compte, non seule­ment l’évolution du BCRA mais aussi de l’ensemble de la France libre deve­nue en 1942 France combattante.

En revanche, le lec­teur non ini­tié peut par­fois se perdre dans l’accumulation des évè­ne­ments recen­sés, des sigles et des mul­tiples luttes d’influence détaillés par l’auteur. Alors que ce der­nier raconte par le menu les conflits oppo­sant les dif­fé­rents bureaux, il passe très vite sur cer­tains points essen­tiels. Ainsi une page seule­ment et assez peu convain­cante est-elle consa­crée à l’assassinat de Dar­lan. Sébas­tien Alber­telli écarte très vite la res­pon­sa­bi­lité des gaul­listes dans cet évé­ne­ment et ne pro­pose aucune hypo­thèse concer­nant l’élimination de l’Amiral. On peut saluer la sagesse du scien­ti­fique. Il n’empêche que l’on peut aussi se sen­tir frus­tré d’une ten­ta­tive d’explication d’un évé­ne­ment fondamental.

Il reste néan­moins que le livre est utile par la masse d’informations qu’il nous donne. Cela, même si les por­traits qui sont faits des figures prin­ci­pales de cette grande aven­ture manquent un peu de chair. De Gaulle appa­raît loin­tain, hau­tain, jaloux de son auto­rité, vou­lant tout contrô­ler, mais capable de s’adapter aux cir­cons­tances et de faire évo­luer ses prin­cipes ini­tiaux. Ainsi à l’automne 1941 Jean Mou­lin parvient-il à convaincre le géné­ral de l’utilité de l’action mili­taire clan­des­tine en France alors que ce der­nier mani­fes­tait jusqu’alors peu d’enthousiasme à cette idée, à laquelle le colo­nel Passy était pour sa part très attaché.

L’auteur montre par ailleurs que le chef du BCRA n’était pas le froid per­son­nage d’extrême droite que ses adver­saires ont voulu voir en lui, pen­dant comme après la guerre. Il appa­raît au contraire à la lec­ture comme une per­son­na­lité très humaine, capable de remise en cause et même d’accès (assez vite sur­mon­tés) d’accès de dépres­sion, et tota­le­ment dévoué à la cause de la libé­ra­tion de la France qu’il fut l’un des pre­miers à défendre aux côtés du géné­ral à qui il voue une fidé­lité et une admi­ra­tion sans failles. Alber­telli publie une lettre de février 1943 signée Dewau­vrin (le vrai nom de Passy) envoyée par lui à son chef avant un départ en mis­sion. Le docu­ment émou­vant nous per­met de mieux com­prendre l’attachement qu’il porte à de Gaulle à qui il recom­mande ses enfants en cas de mal­heur : « Je vous serais recon­nais­sant si vous pou­viez de loin veiller à ce qu’ils soient éle­vés en ‘bons Fran­çais’ »

Deux autres figurent res­sortent : celle du célèbre Pierre Bros­so­lette, doué et flam­boyant, et celle d’un homme beau­coup moins connu, l’adjoint prin­ci­pal de Passy dès 1940 et durant l’ensemble de la guerre, André Manuel (alias Pal­las), modèle d’équilibre, de sérieux et de constance. Ce véri­table « cocréa­teur du BCRA » sui­vant les termes de l’historien méri­te­rait en effet de figu­rer dans la mémoire col­lec­tive du peuple français.

En défi­ni­tive, l’étude de Sébas­tien Alber­telli rend jus­tice, s’il en était besoin, à l’action des ser­vices de ren­sei­gne­ment de la France libre en mon­trant l’efficacité de son tra­vail : dès 1940 le BCRA four­nit l’essentiel des infor­ma­tions sur l’armée alle­mande aux Anglais et plus tard en 1944 contri­bue gran­de­ment au suc­cès du débar­que­ment. Et par là même il méri­tait sans aucun doute l’hommage que consti­tue aussi ce gros ouvrage.

Didier Graz

   
 

Sébas­tien Alber­telli, Les ser­vices secrets du géné­ral de Gaulle. Le BCRA, 1940–1944, Per­rin, sep­tembre 2009, 617 p. — 28,00 €

 
     
 

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