J.M.G Le Clézio, Alma

 Libres oiseaux de Maurice

 Nos deux Prix Nobel de Lit­té­ra­ture ne changent pas de ligne géné­rale. Modiano la pour­suit avec une maî­trise de plus en plus affir­mées. Ses deux der­niers livres dont  Sou­ve­nirs Dor­mants  sont de purs chefs-d’œuvre. Avec le nou­veau livre de Le Clé­zio, l’impression est dif­fé­rente. Certes, Alma rouvre les thé­ma­tiques de l’auteur : voyage, quête de la trace per­due. On repense bien sur au Voyage à Rodrigues  et son île. Ici, elle est plus grande : c’est Mau­rice. Les ancêtres de l’auteur y ont émi­gré au XXVIIe siècle, les uns y sont res­tés, d’autres sont reve­nus en France.
Sous le nom de Fel­sen, l’auteur raconte leur his­toire  en frag­ments, confron­ta­tions et alter­nances d’approches au sein des temps et des ter­ri­toires avec deux voix domi­nantes : celle d’un nar­ra­teur revenu à Mau­rice (Jéré­mie) et celle de Dodo qui ne l’a jamais quitté. Le pre­mier reprend une quête chère à Le Clé­zio dont le grand-père avait trouvé une pierre phi­lo­so­phale (« pierre de gésier ») ves­tige de l’oiseau paran­gon de l’île mais exter­miné par les pre­miers arri­vés : le dodo.

L’autre Dodo, (pas l’oiseau mais le per­son­nage du roman, lui-même drôle d’oiseau), est un déclassé, un peu dimi­nué men­tal. Il erre dans son exis­tence, son île et dans ses sou­ve­nirs capable de jouer sur des pia­nos de hasard les airs qu’il apprit avant sa mala­die contac­tée auprès d’une pros­ti­tuée dans sa jeu­nesse. Le per­son­nage se prête aux quo­li­bets. Son soli­loque pos­sède un style par­ti­cu­lier, pri­mi­tif, enfan­tin mar­qué par le créole mau­ri­cien.
Dodo et son loin­tain parent ne se ver­ront jamais mais leurs che­mins d’une cer­taine façon se croisent sans cesse en diverses marches dont le centre est la mai­son mater­nelle nom­mée non Fel­sen mais Alma décrite ainsi : « Je suis dans mon île, ce n’est pas l’île des méchants, les Armando, Robi­net de Bosses, Esca­lier, ce n’est pas l’île de Mis­sié Kes­trel ou Mis­sié Zan, Mis­sié Han­son, Monique ou Véro­nique, c’est Alma, mon Alma, Alma des champs et des ruis­seaux, des mares et des bois noirs, Alma dans mon cœur, Alma dans mon ventre. »

Certes, pas plus que l’oiseau dont il a hérité du nom, Dodo n’existe plus dans la carte et le ter­ri­toire des Fel­sen. Il n’est qu’un simple d’esprit rejeté par les hommes. Mais la double nar­ra­tion est confite d’autres voix qui racontent l’histoire locale depuis ses ori­gines. D’où un effet de ronde poé­tique où se retrouvent tou­jours les mêmes «héros »  mais aussi des êtres plus louches propres à remuer bien des his­toires de famille au sein d’un jeu de piste. Ceux qui aiment Le Clé­zio ne seront pas déçus. Mais l’érudition des recom­po­si­tions tem­po­relles, géo­gra­phiques et his­to­riques peuvent las­ser ceux qui sont moins sen­sibles à de telles dérives.
La han­tise des lieux peut même par­fois deve­nir rébar­ba­tive en dépit d’une richesse séman­tique et de la force d’un style sen­suel, riche, baroque. Mais avouons-le : nous sommes pour notre part plus sen­sibles au mini­ma­lisme de Modiano qu’à l’exubérance Le Clé­zienne. C’est une affaire  de goût et de sen­si­bi­lité qui ne remet en rien en cause la qua­lité intrin­sèque du roman.

 jean-paul gavard-perret

 J.M.G Le Clé­zio, Alma, Gal­li­mard, coll. Blanche, Paris, 2017, 352 p.

 

 

1 Comment

Filed under Poésie, Romans

One Response to J.M.G Le Clézio, Alma

  1. JACOMELLA

    Je viens de lire Sou­ve­nirs dor­mants et j’ai trouvé ces sou­ve­nirs plu­tôt ennuyeux alors que je suis tou­jours fas­ci­née et char­mée par le style de M.Le Clé­zio. Alma est un très beau livre

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