Emilie Panisset-Barachant, De poussière et de vent

Gardien des nuits

Emilie Panisset-Barachant est un esprit aussi libre qu’attachant, drôle et grave (avec légè­reté). Après un polar déjanté  Mets de l’huile, puis  K.O, et Bur­rito, son  De pous­sière et de vent  est d’une force rare. En un récit haché court et oni­rique elle donne la parole à un homme qui s’est assi­gné une mis­sion : celle de pré­ser­ver les géo­glyphes. Le récit dans ses laby­rinthes et sa suc­ces­sion de rêves ramène — par la bande — à la civi­li­sa­tion des Naz­cas qui ont laissé leur nom à un désert.
Le nar­ra­teur demeure un ovni pour les « grin­gos et grin­gas » qui, venant chez lui ‚« s’imaginent que je vais leur ser­vir un scor­pion grillé ou du ser­pent à son­nettes farci ». Mais il a d’autres objec­tifs et le singe reste son com­pa­gnon d’élection : « il n’a pas le dureté du coli­bri » mais il est « drôle et sage » même si par­fois il s’énerve en sou­le­vant « de la pous­sière d’étoiles ». Pour lui le nar­ra­teur a quitté le monde : lorsqu’il retourne en ville, il en sort abruti. Le retour au désert est une néces­sité : c’est l’île de ce Robin­son dont le singe est le Ven­dredi. Mais un gar­dien, sorte de por­tier de nuit, vient brouiller les cartes

Sous des accents à la Mal­colm Lowry, l’auteur écrit ce qui pour beau­coup sera une débine entre ivresses et souf­frances, entre état de veille brouillé et de som­meil agité. Si bien qu’entre le rêve et la réa­lité les choses se com­pliquent. Mais le prin­cipe de réa­lité semble encore exis­ter. Du moins tant que faire se peut même si ce sombre héros (qui ne se prend jamais pour tel et pour cause) a du mal à se sou­ve­nir « du jour d’avant et de l’aube de sa vie ». Sa langue porte la trace des mor­sures de dou­leurs pro­fondes. Mais, dit le nar­ra­teur, « elles n’ont pas d’importance. Elles me ras­surent même. En détour­nant mes yeux du désastre qu’est deve­nue ma vie ». C’est donc cer­tain : il y a bien là du Mal­colm Lowry.
Comme lui, l’auteure sait que taire la ter­reur ne la fait pas recu­ler. Son per­son­nage a donc mieux à faire. Ou pire. Enfermé en lui-même, il s’en sort par­fois à l’insu de son plein gré lorsque son corps est prêt à prendre la tan­gente. Mais du sor­dide, l’auteure fait de l’or auprès de celui qui, au fil de ses cau­che­mars, s’estime « bien gras pour un mort ». Il va finir – au mieux — comme gar­dien de lui-même. Ce qui n’est pas une siné­cure vu son état de décrépitude.

Néan­moins, l’homme qui dort pri­son­nier dans « la grotte noire » de son crâne où les rêves se pour­suivent espère dor­mir au moins un nuit en paix. Mais le doute sub­siste. Et pas seule­ment en lui : « J’ai rêvé et je ne com­prends rien. Le monde hors du monde est encore plus flou, plus ter­ri­fiant ». Ce qui n’empêche en rien le monde ou le rêve de se pour­suive sans savoir abso­lu­ment qui est qui dans un désert cosmique.

jean-paul gavard-perret

Emi­lie Panisset-Barachant,  De pous­sière et de vent, Z4 édi­tions, 39300 Les Nans, 2017, 78 p. — 13,80 €.

1 Comment

Filed under Romans

One Response to Emilie Panisset-Barachant, De poussière et de vent

  1. Pierre Barachant

    Quelle belle ana­lyse de ce roman dont j’ai suivi pas à pas l’élaboration et qui pour moi est un chef-d’oeuvre.

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