Patrice Blanc, Fleurs d’âge & Fission de la rose

Une poé­tique à fleur de peau 

La poé­sie de Patrice Blanc nage entre deux eaux. Souf­france et jouis­sance, mort et exis­tence voire sur-vivance. Au besoin, la poé­sie se contracte, masse ces contrac­tions : « la voix du jour appelle ta peau / cris du sang » sur un lit de silence. Réel et irréel avancent là où « l’indécis stagne entre la mort et le jour ». Il s’agit de com­prendre le dua­lisme de l’âme et du corps sans savoir si la pre­mière est dans le corps ou si celui-ci la contient, l’enveloppe tout entier. Reste une poé­tique à fleur de peau avec les brû­lures de l’écriture, cer­tains mots cal­ci­nés et le moins pos­sible de méta­phores.
Le but est peut-être de retrou­ver une forêt pri­mi­tive ou une « caverne antique » pour y déve­lop­per en sour­dine une ento­mo­lo­gie qui per­met­trait de com­mu­ni­quer aux hommes d’aujourd’hui — qui refusent de com­prendre de quel bois ils se chauffent -, de retrou­ver une cer­taine lumière. Certes, Patrice Blanc ne se fait pas d’illusion. Il limite ses pré­ten­tions. Seul par­fois un cer­tain sur­réa­lisme accorde au poète un répit : « je fume un cigare de cuisse de mouche » dit-il. Et dans l’espoir impli­cite de faire tous­ser ceux dont les mains « crient pois­seuse d’orgueil et de sou­rires maigres ».

Manière pour l’auteur de dire : je saigne, je sue mais j’aime. D’où une écri­ture dont les for­mules mêlent des intrigues afin d’éviter l’asphyxie et de culti­ver une poé­sie qui navigue entre des joies et des refus. Dès lors, il est pos­sible qu’après les soirs aux jambes lourdes et dans la rosée matin chiens de garde et leur rage fondent. Au pire ‚l’auteur se fait « sau­veur de singes / domp­teur de rapaces » afin que les filles ne craignent plus les com­mères et les mégères qui pié­tinent leur hori­zon d’espoir de « leurs sabots noirs ».
Et si tout ne se passe pas trop mal, il sera temps de boire avec elles le vin des soli­tudes en tour­nant le dos à un dieu cat­cheur ivre qui, fai­sant mine de s’intéresser aux êtres, s’avachit sur son sort.

jean-paul gavard-perret

Patrice Blanc, Fleurs d’âge & Fis­sion de la rose, Edi­tions du G.R.I.L., Liège, 2017.

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One Response to Patrice Blanc, Fleurs d’âge & Fission de la rose

  1. denis hamel

    Patrice Blanc, « De sang, de nerfs et d’os », édi­tions du conten­tieux. 192 pages ; 15 euros.

    C’est d’abord pour des rai­sons maté­rielles et contin­gentes que Patrice Blanc, l’homme et l’œuvre, demeurent comme cachés et mal dis­cer­nables dans une région quasi-coupée de tout lien avec la poé­sie contem­po­raine ins­ti­tu­tion­nelle de main­te­nant, 2018. Né en 1956, il com­mence à écrire vers 14 ans, apprend à jouer du piano, se pas­sionne pour Trakl et Whit­man mais parait, déjà, en déca­lage com­plet avec un sys­tème sco­laire dont les contraintes et les limi­ta­tions lui pèse­ront tou­jours, avant qu’il ne le quitte défi­ni­ti­ve­ment de façon pré­coce. Nous sommes donc en pré­sence, essen­tiel­le­ment, d’un auto­di­dacte. On sait qu’il tra­vailla dans les années 80 dans un comp­toir de métaux pré­cieux, ce qui est iro­nique pour un homme qui ne roula jamais, et ne roule tou­jours pas sur l’or. Puis se suc­cèdent plu­sieurs emplois « ali­men­taires », dont un poste de gar­dien de par­king, jusqu’à la rup­ture avec le monde sala­rial. On s’en tien­dra là pour la bio­gra­phie. Pour ce qui nous inté­resse, la poé­sie, on remar­quera que la plu­part des recueils publiés de Patrice Blanc (une dou­zaine ?) ne sont pas dis­po­nibles au cata­logue de la BNF, ni dans la base édi­to­riale Electre qu’utilisent les libraires. On cher­chera éga­le­ment son nom en vain dans les archives du CNL poé­sie ou autre offi­cine régio­nale char­gée d’aider pécu­niai­re­ment les poètes en dif­fi­cul­tés. Il a pour­tant beau­coup publié en revues, mais ne semble pas avoir pris le virage inter­net condui­sant au tout numé­rique. En tapant son nom sur Google, on peut trou­ver quelques rares articles du cri­tique Jean-Paul Gavard Per­ret, qui explique à son pro­pos : « La poé­tique de l’auteur contraint d’émerger hors du signi­fié et annonce une fin puisque cesse — ou presque — le lan­gage sinon celui de l’amour qui tente de per­du­rer encore. » Patrice Blanc serait donc une sorte d’adepte de la théo­lo­gie néga­tive de Maître Eck­hart ou du Trac­ta­tus Logico Phi­lo­so­phi­cus, un mys­tique consta­tant l’inanité, la vanité du lan­gage à explo­rer cer­taines zones ins­cru­tables de la spi­ri­tua­lité. Ce serait oublier son amour des mots, de leur son, de leur sens aussi, de leur pro­priété à pro­vo­quer l’émotion. Alors certes il écrit « aux limites de la parole / l’énigme crée l’obstacle », il n’en demeure pas moins que cette poé­sie, émi­nem­ment « lisible », voire « lyrique », ne peut aucu­ne­ment être rat­ta­chée à cer­tains cas extrêmes rele­vant plus de la patho­lo­gie autis­tique que de la poé­sie. Tou­jours reliée à la sub­jec­ti­vité et à l’empirie, cette écri­ture ne nie pas le monde, le soi où le lan­gage, mais les trans­fi­gure en les appa­reillant et les tis­sant mutuel­le­ment d’une façon inédite. Pour un poète, que deman­der de plus ?

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