De la nécessaire incertitude du soin
Une sonnerie. En guise de scène, un rectangle blanc s’avance vers le public, presque jusqu’à le toucher. Dans ce décor sobre, les espaces se fabriquent en direct, au fur et à mesure des besoins de l’intrigue, par la projection d’images vidéo en poursuite, à partir d’une activité interdite et délicieuse explorée dans l’enfance – on écrit sur le mur – et dans le minutieux ballet des accessoires. Sur ce plateau tout à la fois réduit et modulable où les comédiens évoluent très proches des spectateurs, on entre dans les coulisses de la médecine, avec une discussion crue ponctuée d’allusions. Les enjeux de pouvoir évoqués de façon elliptique dans les échanges n’en sont pas moins présents.
Sur fond d’antisémitisme et de soupçon de corruption, des pressions s’exercent sur le directeur d’un établissement médical à l’origine d’une décision humaniste dont les ressorts lui échappent pour partie. Une initiative qui s’avère froisser l’Église. Ici, le choix spontané d’une personnalité indépendante place l’institution devant un dilemme moral, social, quasi politique qui ne fera que s’amplifier. On oppose à l’éthique de conviction (le respect des principes) l’éthique de responsabilité (qui impose la prise en compte des conséquences collectives de ses actes).
Il s’agit bien de montrer comment le tissu social enserre les individualités, comment la trame se tisse autour d’un fait pour le réduire au sens qu’elle lui donne. Un argument fort, monolithique, comme une obsession qui se déploie, s’enfle, portant quand bien même le risque de lasser. Comme sur une blouse de médecin, les mots inscrits en craies de couleur se transforment en taches quand on essaie ensuite vainement de les effacer, dans d’illusoires tentatives de retours en arrière.
Les ressources de la vidéo permettent de donner à la scène une profondeur momentanée, de mettre le propos en perspective, par exemple dans ces instants où l’image des derniers soins à la patiente envahissent la scène devenue écran. La mise en scène veille à laisser respirer le texte dans sa saturation. Nous sommes placés dans l’attente, dans la lenteur constitutive de l’intrigue. Dans une approche clinique de la pièce, Ostermeier cherche à saisir la nécessaire incertitude du soin.
christophe giolito & manon pouliot
Professor Bernhardi, d’Arthur Schnitzler
Spectacle en allemand surtitré en français
Mise en scène : Thomas Ostermeier
Adaptation : Thomas Ostermeier et Florian Borchmeyer
Dramaturgie : Florian Borchmeyer
Scénographie : Jan Pappelbaum
Avec :
Jörg Hartmann, Sebastian Schwarz, Thomas Bading, Robert Beyer, Konrad Singer, Johannes Flaschberger, Lukas Turtur, David Ruland, Eva Meckbach, Damir Avdic, Veronika Bachfischer, Moritz Gottwald, Hans-Jochen Wagner, Christoph Gawenda, Laurenz Laufenberg
Costumes : Nina Wetzel
Production : Schaubühne am Lehniner Platz, Berlin
Photo : © Arno Declair
Du 23 novembre au 3 décembre au Théâtre Les Gémeaux à Sceaux
49 avenue Georges Clémenceau 92330 Sceaux 01 46 60 05 64
Auparavant créé en 2016 à Berlin, au TNB (Théâtre National de Bretagne) du 5 au 7 janvier 2017, A la Schaubühne de Berlin, le 4, 5, 6 et 24 février, (avec des sous-titres français), les 25 février à 19 h 30 et 26 février 2017 à 16 h (avec des sous-titres anglais) https://www.schaubuehne.de ; à Lyon, Les Célestins, du 2 au 6 mai 2018.
La traduction française de la pièce de Schnitzler est publiée en 1994 chez Actes Sud.