Sidney Lumet, Faire un film

Le fil­mique

Pour qui songe à se lan­cer dans le cinéma, mieux vaut s’adresser au bon dieu qu’à ses saints. En l’occurrence et ici Syd­ney Lumet. Son livre per­met de décou­vrir les étapes de la créa­tion ciné­ma­to­gra­phique (écri­ture, choix et uti­li­sa­tion du scé­na­rio, cas­ting, choix des décors, répé­ti­tions des scènes, tour­nage, concep­tion de la bande-son, mon­tage et post-production). Rien n’y manque. Le tout illus­tré par le tra­vail même d’un des maîtres d’Hollywood. Il per­met d’éviter des chausse-trappes, le tout de manière dis­cur­sive pré­cise et agréable.
Lumet a su bif­fer tout ce qui est secon­daire pour aller à l’essentiel, si bien que tout élève pour­rait dire à la fin d’une telle lec­ture : “Je suis en pro­grès, il était temps, je fini­rai enfin par pou­voir fer­mer ma sale gueule » (S. Beckett, Textes pour rien). Les titres des cha­pitres eux-mêmes sont des invi­ta­tions au voyage. Citons par exemple : « Le style : le mot le plus gal­vaudé depuis « amour » », « Un acteur peut-il réel­le­ment être timide ? », « Faye Duna­way fait-elle réel­le­ment retou­cher sa jupe à seize endroits dif­fé­rents ?», « Les Rushes : l’extase et l ‘ago­nie ». Il existe donc là plus qu’une esquisse : un véri­table dis­cours pré­pa­ra­toire au che­min idéal de la création.

Le film peut alors espé­rer deve­nir (comme ceux du réa­li­sa­teur) à la fois la trace d’une réa­lité et le moyen faire res­sen­tir la pro­fon­deur d’un monde. Les conseils sont simples et radi­caux. Ils sont des garde-fous afin ne pas se prendre trop vite pour un génie des Car­pates ou un Zin­zin d’Hollywood. Ainsi, pour le maître, « un plan dif­fi­cile à réa­li­ser n’est pas for­cé­ment un plan réussi ». Et il n’a cesse d’insister sur le tra­vail de répé­ti­tion — Ché­reau par exemple aura tiré les consé­quences d’une telle leçon.
Se retrouve l’aspect pra­tique et prag­ma­tique d’un réa­li­sa­teur qui — pas­sant de l’huis clos d’un pro­cès au thril­ler — rap­pelle que la ques­tion essen­tielle lors du pro­jet d’un film est celle de sa forme donc de ses lan­gages. L’ouvrage tient aussi d’une jour­nal intime et per­met d’appréhender la marche for­cée d un art qui, plus qu’un autre, confronte son créa­teur autant à une équipe qu’à une soli­tude abso­lue : c’est elle qui final ement– pour peu que le réa­li­sa­teur garde une capa­cité d’écoute cri­tique — sera la garante d’un souffle d’existence : à peine ténu au début et par les étapes de sa matu­ra­tion orga­nique, il peut atteindre comme l’écrivait Barthes “le fil­mique qui fait pas­ser d’un état déca­dent à un état triomphant ».

jean-paul gavard-perret

Sid­ney Lumet, Faire un film, Tra­duc­tion de l’anglais (US) de Charles Vil­la­lon, Capricci, Paris, 2017, 288 p. — 19,00 €.

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