Antoine Emaz, Passants

Donner une réa­lité à l’indicible

L’ima­gi­naire poé­tique d’Antoine Emaz  est tou­jours aussi impres­sion­nant que para­doxal. Dans la pers­pec­tive d’amenuisement du lan­gage, elle s’éloigne de la ten­ta­tion gros­sière de trans­for­mer la poé­sie en une œuvre intel­lec­tuelle. Ici à l’inverse, l’Imaginaire parle à tra­vers une éco­no­mie de moyens en ouvrant sur un vide où le sujet est tou­ché d’une déli­ques­cence.
La poé­sie devient moins la réa­li­sa­tion d’un pos­sible qu’une « creux-ation » au sein d’« un drap / lourd d’écume et de sel » avec « du ciel un peu aussi / et dans les plis / les êtres / pas­sés /pas plus /des ombres /des bouts ». Et pas plus : nulle épi­pha­nie dans cette poé­sie, puisqu’à la fin, le texte comme l’être sera sans ave­nir et fait écho à ce que Beckett écrit dans Mir­li­ton­nades : “rien nul / n’aura été / pour rien / tant été /rien ». Les mots ne peuvent plus se gon­fler de valeur. D’où cette suite de mots mini­maux pris à porte-à-faux dans un mou­ve­ment qui ne met en déroute des vir­tua­li­tés au ser­vice de la présence.

Reste le monde du doute, de l’impossible où le “com­ment c’est” et “com­ment dire” demeurent des ques­tions sans réponses. La rup­ture touche le lan­gage. Il ne peut plus affir­mer là où il n’est jamais ques­tion d’envisager un ailleurs. Et si tout com­mence avec le mot et si l’aventure poé­tique est d’abord une aven­ture du lan­gage, la fin est de même nature. Pour le prou­ver, Emaz donne une réa­lité à l’indicible.

jean-paul gavard-perret

Antoine Emaz,  Pas­sants, Edi­tions Unes, Nice, 2017, 16 p.

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