Preston Sturges le météore de génie
Créateur de la “mad-cap” comédie, flambeur déjanté, auteur d’une douzaine de films géniaux dont Gouverneur malgré lui, Le gros lot, Les voyages de Sullivan, Miracle au Village ou encore Anesthésie à l’éther, Preston Sturges est souvent redécouvert et aussitôt oublié du moins en France où il vécut. En Amérique il reste un génie vénéré entre autres par les frères Coen. D’abord scénariste (le mieux payé d’Hollywood à la Paramount), il obtint le droit de passer ensuite (et ce fut le premier) à la réalisation. Inventeur du rouge à lèvres indélébile et d’un avion à décollage vertical, auteur dramatique à succès dans les années 30, il sera un météore de la création. Maître de cinéastes comme Mankiewicz, il obtint un énorme succès par ses satires où les héros marchent sur des roulettes mais à côté de la route avec sécheresse, ironie et jusqu’auboutisme.
Le réalisateur pousse les situations au paroxysme avec un don de l’empilement et une joie « pure »et débridée. Et son héros Sullivan permet le plus beau film sur le cinéma et l’art de faire de la comédie à Hollywood avec au passage une charge contre Capra et un hommage à Lubitsch dans un art parfait du contrepied désopilant et parfois glaçant et cruel.
Les films se caractérisent par la vitesse des dialogues au sein d’une caravane d’excentriques, de distraits exaltés – capables de tomber deux fois amoureux de la même femme sans le remarquer et de gueules cassées. Pendant comique de Welles et comme lui homme de troupes, il est le maître de la réplique qui tue et que reprendront les Coen dans O Brothers - film que le personnage de Sullivan rêvait de réaliser…
Sturges garde toujours une distance analytique face aux cinglés comme face à la comédie romantique. L’artiste pratique le dérapage entre autres avec la comédie du remariage comme dans Madame et ses flirts et son début frénétique voire délirant avec ses inventions onomastiques et une sorte de « cartoonisation » qui annoncent — par les mises en pièces des formes du comique — le cinéma de Blake Edwards et ses poursuites.
Entre le burlesque de cinéma muet et un remarquable cinéma du langage, l’artiste pratique une veine immorale que permet l’humour libératoire en tournant en ridicule le patriotisme au moment même de la guerre comme dans Héros de l’arrière et son embusqué. Quant au principe de saturation visuel et sonore, il est une des marques de fabrique de l’œuvre. Elle prouve l’aveuglement des foules dupes consentantes de ce qu’un héros pré-Trump nomme en parlant de ses fake-news avant la lettre : « ce ne sont pas des mensonges mais des promesses électorales »…
On comprend que Sturges est capable de mélanger tous les genres pour les finaliser et les résoudre par un burlesque final où au besoin il est bon d’être vulgaire. Le réalisateur ne s’en prive pas mais sa virtuosité accorde à cette attitude une quasi élégance.
jean-paul gavard-perret
Preston Sturges, Preston Sturgess King of comedy, Coffret, Wild Side, 2017.