Un parfum d’aristocratie dans ce singulier portrait de femme
Marie-Pierre de Cossé Brissac n’est pas un nom qui dira forcément quelque chose au grand public, même s’il est assurément connu parmi les spécialistes des généalogies aristocratiques. Il ne faudrait pourtant pas que cette méconnaissance fasse obstacle à la lecture de ses Mémoires d’automne, car le livre, qui retrace sa vie, mérite amplement le détour. J’ai maudi mon nom bien des fois, parce qu’il faussait les situations normales de la vie, nous dit l’auteur d’entrée de jeu (p.38). Née en 1925 dans une famille aristocratique où l’égalité des hommes telle que promue par la Révolution française ne comptait pas, où le passé historique déterminait entre les descendants une hiérarchie qu’on ne pouvait changer (p. 72), Marie-Pierre de Cossé Brissac aura un parcours atypique, bien différent de l’existence titrée et oisive qu’on prévoyait pour elle.
De fait, sa vie, dans son allure générale, s’apparentera davantage à celle de ces femmes de la deuxième moitié du XXe siècle, qui pour la première fois ont eu massivement la possibilité de prendre leur destinée en main. Une conquête de la liberté et de l’autonomie avec ses hauts et ses bas. Alors qu’on ne souhaitait guère d’une fille très instruite (Vous n’allez pas devenir un petit professeur miteux ! lui rétorque sa mère, en apprenant qu’elle songe à passer l’agrégation), Marie-Pierre de Cossé Brissac effectue des études supérieures, réussit l’agrégation de philosophie, devient professeur d’hypokhâgne, puis haut fonctionnaire à l’Unesco, avant de travailler au ministère des Affaires étrangères en tant que responsable de la coordination des fouilles françaises à l’étranger. Une carrière professionnelle brillante, donc, gagnée par une soif de connaissance, de reconnaissance et de liberté.
La vie personnelle, quant à elle, sera plus chaotique. Ayant mis de la mauvaise grâce à rencontrer les prétendants choisis par ses parents (dont Rainier de Monaco), puis repoussé Jean d’Ormesson, elle épouse Simon Nora, un Juif, provoquant une rupture temporaire avec sa famille. Quelques années plus tard, le couple divorce à sa demande, après avoir eu deux enfants. Marie-Pierre de Cossé Brissac sera ensuite la maîtresse d’un homme marié, puis épousera l’alpiniste et ministre Maurice Herzog. Deux nouveaux enfants, nouveau divorce, et troisième mariage. Une vie bien remplie, certes, mais dont les événements ne suffiraient pas à captiver le lecteur comme le fait le récit de cette existence.
Paradoxalement, alors même que Marie-Pierre de Cossé Brissac s’est sans cesse efforcée de briser le carcan de la vie où son nom entendait l’enfermer, c’est ce que l’on pourrait appeler le « parfum aristocratique » de son livre qui en fait l’originalité et le rend si précieux. La femme qui se dessine dans ce livre montre cette forme de solidité qui émane de la confiance en ses forces et de la conscience de sa valeur et de ses responsabilités.
Ainsi les moments difficiles de sa vie (son divorce d’avec Herzog, la maladie et la mort de son fils Laurent…) la voient-ils désemparée, accablée, mais jamais sujette aux ressassements (auto)culpabilisants qui sont d’ordinaire le passage obligé des récits de ce genre d’événements. Les choses même désagréables ou peu reluisantes sont dites en effet, mais sans exhibitionnisme, discrètement.
On apprend par exemple incidemment, au détour d’une phrase, les infidélités et la double famille de son père, ou bien l’éclatement de sa fratrie après la mort de la mère : l’information est glissée, comme en passant, dans la phrase qui clôt le portrait élogieux et sensible de son frère Gilles : Nous ne nous parlions plus, après les débats honteux qui avaient entouré la succession de notre mère (p. 416).
Marie-Pierre de Cossé Brissac met en œuvre un art de l’allusion élégante qui préserve son intégrité — elle ne va jamais au-delà de ce qu’elle a projeté — tout en évitant l’hypocrisie. Ce qu’elle dit de Jean d’Ormesson (comme tout aristocrate, il savait couper court quand il s’ennuyait, avec le caractère enjôleur et les faux-semblants de la politesse, p. 100) pourrait dans une certaine mesure lui être appliqué : elle sait couper court en cas de besoin, en changeant de sujet, mais avec élégance. La contrepartie de cette manière de narrer, c’est que les passages consacrés aux sujets plus “politiques”, notamment son action à l’Unesco ou au ministère des Affaires étrangères, sont moins captivants parce que trop allusifs pour que le profane n’y trouve qu’un intérêt humain ou simplement documentaire. Ainsi, quand elle se rend à Pondichéry pour visiter l’ashram de l’initiatrice d’Auroville, Sri Aurobindo, et rencontrer cette dernière, l’entrevue, annoncée bien avant dans le livre et tant attendue par le lecteur, se résume à une dizaine de lignes d’où il ressort que la fameuse « mère » a saisi les poignets de Marie-Pierre de Cossé Brissac, lui communiquant une énergie dont [elle] n’a jamais parlé, qui est restée en lisière de [sa] conscience et n’a jamais tout à fait disparu (p. 289).
Mais à ces faiblesses près (et somme toute cohérentes), le livre dessine un portrait de femme singulier, où un passé riche et puissant se mêle à un présent qui a su prendre ce que la modernité pouvait offrir de libératoire, aboutissant à une forme de sagesse sereine sur laquelle le livre s’achève : Je suis à Paris, au cinquième étage d’un immeuble très ancien. Parfois la lune monte jusqu’à nos fenêtres. Je la suis au-dessus du ministère de l’Éducation nationale. Je me réjouis de sa clarté, de notre silence. Nous sommes dans le monde des astres. Nous avons beaucoup de chance (p. 451). Une façon de donner une juste mesure à sa destinée, en clôture d’un livre qui résonne durablement après sa lecture.
a. de lastyns
Marie-Pierre de Cossé Brissac, Mémoires d’automne, Fayard, 2009, 454 p. — 21,90 euros. |
merci m indiquer ou je pourrais trouver ce livre ancien — une amie agée le recherche depuis plusieurs années — cela me ferait plaisir de lui trouver
Madame, Vous ne me connaissez pas comme je vous connais bien que je ne vous ai jamais été présentée, dans la mesure où les univers qu’il m’a été donné de traverser comme fille ainée de Louis de Fouquières, puis comme seconde épouse de JJSS, enfin comme mère de fils contemporains de votre Félicité, faisaient souvent mention de votre existence — et en bien .
J’ai donc aimé –beaucoup– vos “Mémoires d’Automne”, incidemment signalées à mon attention par Madeleine Chapsal, il y a quelque temps déjà puisque je n’arrive plus à mettre la main dessus ce soir. L’éloignement dessine parfois de merveilleuses silhouettes dans l’espace dont il semble que vous ayez embelli les perspectives de tous ceux qui vous ont croisée. En vous le disant je souhaite seulement vous féliciter de ce travail sur vous-même si enrichissant pour une lectrice inconnue qui vous en remercie„ un peu tard peut être, mais très sincèrement au seuil de son propre autome. Sabine SS
Sri Aurobindo étant mort en 1950, Madame de Cossé Brissac a rencontré sa collaboratrice française, Mirra Alfassa, qu’il nommait « Mère ».
Je suis heureux de vous avoir connu. Merci