Les mots pour les maux
L’écrivain n’est plus autonome, il doit travailler le monde jusqu’à l’hystérie avec souci du “care” afin de réparer l’Histoire, le monde, les êtres. A la littérature est préféré le témoignage de terrain, fut-il amateur. Les livres sur le deuil fleurissent (Forrest fut un pionnier) comme la pléthore de livres de développement personnel. Au même moment, l’écrivain devient un pèlerin social. Il se fend de visites dans les prisons, les hôpitaux ou ailleurs. Bref, tout en économie de pulsions, il doit faire du lien social, de l’inter-action en médecin de campagne de l’esprit.
Gefen le rappelle et souligne que lire ou écrire est objet de parfaite résilience… Les leçons du livre (car tel devient son but) sont là pour remplacer l’église et autres cadres spirituels vers un vivre-ensemble afin de créer « le peuple qui manque » de Deleuze. Bref, l’écriture est sommée de ne plus être extérieure au monde. L’utilitarisme sanitaire s’impose au détriment du style – ne parlons même plus de langue.
L’écrivain se transforme en ravi de la crèche satisfait de « faire dans le social », d’assumer un rôle qui n’est plus critique. Il se contente de se replier dans une réparation de l’individu ou de la société. Exit le formalisme par le retour au récit, au sujet. Gefen date avec raison cette maladie sénile de la littérature aux « vies minuscules » autobiographiques, plus ou moins inventive et ses élans lyriques de Pierre Michon devenu parangon de la littérature salué par un (beau au demeurant) Cahier de l’Herne. Elle se retrouve chez les Carrère, Bon, Ernaux. Seuls les grands écrivains savent éviter ce risque même ceux qui le frôlent (Modiano) mais qui ont le génie de ne pas y succomber. Chez l’auteur des Souvenirs dormants pas question de rêve d’empathie et de guérison, donc pas de fin ni de fins à la littérature.
L’idéal humaniste est donc une plaisanterie rassurante, une farce sordide. Bataille, Blanchot, Duras, Beckett ont choisi, pour beaucoup, des gestes trop terribles. Gefen ne dit pas vraiment qu’il préfère les écrivains qui font du bien. Mais il ne dit pas le contraire non plus. C’est un positionnement un peu ridicule. L’auteur opte pour un « en même temps » macronien. Si bien que la miséricorde garde la dragée haute face aux chemins du langage.
Implicitement, Gefen laisse la place autant à la nullité réparatrice à la Ernaux qu’à Guyotat ou Houellebecq. Comme Viard et les maîtres universitaires des lettres, il ne se mouille pas face à ceux qui font semblant, dans leur porosité bienveillante, de réparer les vivants. C’est pour les premiers une manière de préserver leurs couronnes universitaire au nom d’une mission (au caractère religieux du terme) de la littérature et de sa visée collective de consolation par des suppliques qu’ils entérinent.
La taxidermie morale se veut désormais une politique de la littérature sous l’empire du je et de la démocratie. Son geste doit désormais devenir social ou politique Néanmoins, nous préférerons toujours Artaud, Pérec, Cholodenko, Beckett à tous les écrivains docteurs en mansuétudes empathiques : ils cachent sous leur prétendue attention et intention une grande indélicatesse. L’injonction de la littérature n’est pas de faire parler ou plutôt d’étouffer les démunis en leur donnant la parole. Sauf en inventant un langage : mais n’est pas Céline qui veut.
Le refus, le révolte sont pourtant plus forts que l’orchestration du contact et son assignation. Le règne absolutiste de l’empathie est à maints égards imbuvable. L’écriture du bien participe d’une construction sociale et intellectuelle des plus discutables. Les garagistes de l’égo et de son âme ne sont comme leur nom l’indique en rien des écrivains. Chevillard l’a compris : l’écriture n’est pas performative, elle est formaliste ou n’est pas. Sa résistance et sa singularité passent par là.
jean-paul gavard-perret
Alexandre Gefen, Réparer le monde, Editions José Corti, coll. Les Essais, , Paris, 2017, 302 p. — 25,00 €.
on trouve des arguments de poids et pleins de vérité dans cette réaction ! attention : Ernaux et non Ernault +
accord adjectif nom
ps
Gefen est un ponte qui prêche pour sa chapelle
merci de votre retour et de cette correction d’une faute qui nous avait échappé.
cdlmt,
la rédaction