Mourir est un art et un mystère
On connaît Emmanuel de Waresquiel pour ses travaux historiques, et sa grande biographie de Talleyrand. On lira avec d’autant plus de délectation son ouvrage sur la mort de certaines grandes figures de la littérature. Ou plus exactement sur ce face à face avec la grande faucheuse, sur la manière dont ces écrivains ont appréhendé la mort, leur mort.
« Dis-moi comment tu es mort. » demande Waresquiel à ses personnages pour mieux comprendre la vie de l’homme et l’œuvre de l’écrivain. On dit que le savoir-vivre, c’est le savoir mourir. On savait cela autrefois. On suit donc avec plaisir, à travers des pages magnifiquement écrites, la confrontation de Brasillach, de Gracq, de Nerval, du prince de Ligne avec leur propre mort.
Que fuyait Brasillach dans son aventure avec le fascisme ? Comment comprendre cet « appétit de destruction », cette « haine de soi qui le conduit tout droit à celle des autres » ? Que ne voulait-il pas avouer, y compris dans la solitude de sa cellule de Fresnes ? Il refuse de se soumettre et en paie le prix. Qu’y avait-il de fort dans l’errance de Nerval à travers les rues noires de la nuit parisiennes. ? « Il aime marcher et il aime marcher la nuit » jusqu’au barreau de la fenêtre du serrurier Boudet où il se pend. Est-ce sa folie qu’il n’a pas supporté de voir ? Le prince de Ligne se rit de la mort, avec cette insouciance et ce mépris propres aux hommes de son temps et de son ordre. Jusqu’à ce qu’elle lui prenne son fils. Il ne s’en remit jamais. Soudain la mort devint insupportable. Mais il sut néanmoins mourir car il sut vivre.
Le livre de Waresquiel est un petit bijou. On le referme troublé, ému, angoissé et curieux. Saura-t-on mourir, nous les humbles et les inconnus, avec la même douceur que connut Gracq ?
frederic le moal
Emmanuel de Waresquiel, Entre deux rives, L’Iconoclaste, août 2012, 331 p. - 18,00 €.